Déclaration de l’ombudsman à l’occasion du Mois de la sensibilisation aux agressions sexuelles
Au Canada, mai est le Mois de la sensibilisation aux agressions sexuelles et, à titre d’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels, je souhaite rendre hommage à tous les survivants d’actes de violence sexuelle, ici et ailleurs dans le monde. C’est l’occasion d’accroître la sensibilisation aux effets dévastateurs des actes d’agression sexuelle et de mettre l’accent sur les moyens à prendre pour prévenir la violence et soutenir les survivants.
Bien qu’il soit établi qu’une femme sur trois et un homme sur six sera victime de violence sexuelle au cours de sa vie, les experts constatent que l’agression et le harcèlement sexuels représentent des formes persistantes de violence fondée sur le genre qui découlent de l’inégalité entre les genres. Comme la vaste majorité des agressions sexuelles ne sont pas signalées, tant les données de la police que les données fournies par les victimes dans le cadre d’enquêtes sociales sont utilisées pour établir la portée du phénomène. En 2014, les femmes ont déclaré avoir été la victime de 553 000 agressions sexuelles selon l’Enquête sociale générale de Statistique Canada sur la victimisation.1 Selon les données de 2016 et de 2017, 9 victimes d’agression sexuelle déclarées par la police sur 10 sont des femmes (89 %).2
L’incidence des agressions sexuelles est énorme et, sur le plan économique, il en coûte aux Canadiens des milliards de dollars chaque année. En 2009, la gestion des agressions sexuelles et des infractions relatives aux agressions sexuelles a coûté à l’économie canadienne environ 4,8 milliards de dollars.3
La violence sexuelle n’affecte pas une identité ou un groupe de la population en particulier, et mon Bureau est conscient des taux de victimisation disproportionnés des communautés autochtones racialisées et 2ELGBTQQIA. Le taux autodéclaré d’agression sexuelle des femmes autochtones est presque trois fois supérieur à celui des femmes non autochtones.4 En 2018, les personnes 2ELGBTQQIA du Canada étaient près de trois fois plus susceptibles d’avoir été victimes d'une agression physique ou sexuelle que les personnes hétérosexuelles au cours des 12 mois précédant l’enquête et plus de deux fois plus susceptibles d’avoir été victimes de victimisation avec violence à partir de l'âge de 15 ans.5 Il importe également de souligner le manque de données non regroupées au Canada, surtout en ce qui concerne les taux de violence et d’agression sexuelle vécus par les femmes noires, y compris les femmes noires transgenres.
La violence et l’inconduite sexuelle sont aussi courantes au sein des plus grandes institutions du Canada, dont les Forces armées canadiennes (FAC). Il faut déployer plus de mesures pour protéger les survivants et les survivantes/victimes de violence sexuelle et leur offrir une véritable justice. Seulement dans les FAC, 581 cas d’agression sexuelle ont été enregistrés et 221 allégués entre 2015 et 2021. Vu le nombre croissant de survivants et de victimes de violence sexuelle dans les FAC, j’ai écrit une lettre à l'honorable Harjit Sajjian en mars dernier pour lui faire part de mes préoccupations envers la culture de la sexualisation hostile et recommander la création d’un organe de surveillance indépendant chargé de faire rapport sur les allégations d’inconduite sexuelle.
Je m’efforce aussi de faire reconnaître le contrôle coercitif dans le droit pénal canadien et j’ai récemment comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne pour obtenir la criminalisation des comportements coercitifs et contrôlants. Les personnes qui exercent un contrôle coercitif recourent à des tactiques comme de proférer des menaces implicites ou explicites, de recourir à la violence physique ou sexuelle, de détruire les effets personnels de la victime et d’isoler ou intimider cette dernière en surveillant étroitement ses comportements et ses interactions avec les autres.6 Malheureusement, les auteurs de tels actes ne s’exposent pratiquement à aucune conséquence criminelle au Canada parce que la justice pénale s’attache à condamner des actes uniques ou isolés et généralement de nature violente.
Au cours du mois de mai et des mois qui suivront, j’encourage tous les Canadiens à saisir l’occasion de prendre acte de la violence sexuelle systémique dans notre société et d’y réfléchir. Sans reconnaissance, nous ne pourrons apporter un véritable changement et les voix des victimes et des survivants demeureront sans portée.
Il faut aussi que nous reconnaissions que les survivants doivent avoir accès à d’autres ressources que le système de justice pénale puisque moins de 5 % des victimes contactent la police au Canada. Nous devons modifier notre culture pour croire les survivants et leur signifier qu’ils ne seront jamais à blâmer pour l’agression qu’ils ont subie. Les survivants ont par ailleurs besoin d’être mis en contact avec des services de soutien adaptés aux traumatismes adéquatement financés et dotés d’un personnel qui comprend ce à quoi ils sont confrontés et leur offre des services respectant la sécurité culturelle.
Mon Bureau reste déterminé à accueillir, à entendre et à soutenir les survivants ayant subi de la violence sexuelle. Il reste encore beaucoup à faire, mais en investissant en amont, dans des programmes de prévention primaire qui enseignent les notions de consentement, de relations respectueuses et saines et d’intervention des témoins (en anglais seulement), nous pouvons mettre un frein à la violence et au harcèlement sexuels au Canada.
Heidi Illingworth
Ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels