Allocution de Heidi Illingworth à l’événement de lancement du Réseau municipal canadien en prévention de la criminalité
En paix chez soi :
Guide pour la prévention de la violence à la maison pendant et après la COVID-19
5 mai 2021
Bonjour à toutes et à tous. Good day everyone. Je m’appelle Heidi Illingworth et je suis l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels. J’utilise les pronoms she/her/elle. Je m’adresse à vous depuis ma maison au sud d’Ottawa, sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin. Je tiens à souligner la Journée de la robe rouge et à offrir mon soutien à tout le travail accompli pour mettre fin au génocide des femmes et des filles autochtones au Canada.
Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels (BOFVAC) a été créé en 2007 en tant que bureau indépendant chargé de surveiller le gouvernement fédéral dans ses relations avec les victimes d’actes criminels.
Nous servons les personnes qui ont subi un préjudice physique ou émotionnel ou une perte financière à la suite d’une infraction criminelle au Canada, ainsi que celles qui ont été victimes d’actes criminels à l’étranger, de même que leurs conjoints, parents ou personnes à charge.
L’essentiel de notre travail consiste à écouter les victimes et leurs familles qui ont des préoccupations concernant le système de justice pénale. Notre approche est centrée sur le client et sur la victime. Nous travaillons également à jeter la lumière sur les problèmes systémiques qui touchent les victimes, et nous fournissons des recommandations et des conseils au gouvernement fédéral.
Voilà maintenant plus de vingt ans que je travaille avec des survivants de la violence, et je peux vous dire que la prévention est incroyablement importante pour eux. Presque tous les survivants à qui je parle disent qu’ils veulent empêcher que ce qui leur est arrivé ou ce qui est arrivé à leur proche n’arrive à quelqu’un d’autre.
C’est pourquoi la prévention de la victimisation est si importante pour moi. J’ai vu le mal que fait la violence et j’ai marché aux côtés de survivants qui luttent pour s’en remettre. J’ai également été témoin de leur force et de leur résilience.
C’est un honneur pour moi d’avoir collaboré au rapport En paix chez soi, et je salue le travail acharné du Réseau municipal canadien en prévention de la criminalité et des partenaires du projet pour ce guide bien documenté, complet et utile qui a été créé.
En tant qu’ancienne praticienne de première ligne, je suis heureuse que le guide fasse état de la gravité de la violence conjugale et sexiste. Cette forme de violence est tapie dans l’ombre, en privé, mais ses effets se ressentent sur l’ensemble de nos communautés, d’une manière dont beaucoup n’ont pas conscience.
Le guide souligne l’importance de la prévention de la violence et des stratégies en amont pour interrompre, voire empêcher le cycle de la violence, des stratégies dont je suis depuis longtemps une fervente partisane.
Il met l’accent sur une approche intégrée, ce qui, selon moi, est non seulement important, mais aussi essentiel, pour répondre efficacement aux dommages durables et préjudiciables de la violence et des traumatismes.
Le moment est bon, car la pandémie de COVID-19 a braqué les projecteurs sur des questions qui sont restées trop longtemps sans réponse.
Chaque année au Canada, plus de 2,2 millions de crimes sont signalés à la police, dont un quart sont des crimes violents. Pourtant, nous savons que seule une fraction de la violence qui se produit est effectivement portée à l’attention du système officiel de justice pénale. Les crimes comme les agressions sexuelles restent cachés et sont très peu signalés : 95 % des victimes gardent le silence1.
L’Observatoire canadien du fémicide pour la justice et la responsabilisation a découvert qu’un total de 160 femmes et filles ont été tuées en 2020. Sur ces 160 décès, 128 de ces femmes, soit 80 %, ont été tuées par des hommes. En outre, bien qu’elles représentent moins de 5 % de la population canadienne, les femmes et les filles autochtones étaient surreprésentées, puisqu’elles constituaient une femme ou fille sur cinq.
Les défenseurs nationaux des personnes âgées signalent une multiplication par dix de la maltraitance des personnes âgées2. La maltraitance et l’exploitation sexuelle des enfants sont en hausse3.
La pandémie continue de mettre en lumière la violence que tant de personnes ont subie en silence.
De plus, ce qui est très important, c’est qu’elle nous donne l’occasion de réfléchir à la manière dont nous réagissons collectivement à la criminalité, à la violence et aux traumatismes.
Alors que nous lançons ce guide aujourd’hui, j’espère que les municipalités et les responsables locaux canadiens pourront commencer à mettre en œuvre les stratégies qui y sont présentées afin d’interrompre le cycle néfaste de la violence qui fait tant de mal. Ces personnes ont besoin du soutien des dirigeants provinciaux et fédéraux pour y parvenir.
Nous devons empêcher la violence de se produire en premier lieu.
Et nous devons veiller à la santé et au bien-être collectifs de tous les membres de notre société.
Je soutiens l’appel lancé aux communautés, aux représentants provinciaux/territoriaux et au gouvernement fédéral pour qu’ils investissent dès maintenant dans la mise en place de programmes de prévention de la violence adéquats et accessibles.
Les réponses du système judiciaire ont historiquement été considérées comme notre réponse la plus importante à la violence, et les ressources financières et humaines que nous continuons à leur consacrer reflètent toujours cette pensée.
Mais les réponses du système judiciaire se font en aval. La police et l’incarcération répondent à la violence après qu’elle a eu lieu, mais elles ne l’empêchent pas de se produire.
Elles ne réhabilitent pas les délinquants ni ne guérissent les victimes du traumatisme qu’elles doivent vivre après une victimisation avec violence.
Pour la sécurité et le bien-être à long terme des communautés, pour la santé de notre société, pour la protection des femmes, des enfants, des aînés, des peuples autochtones, des peuples racisés, de la communauté LGBTQ2S+, nous devons consacrer des ressources à la lutte contre la violence à la racine, et c’est ce que dit clairement ce guide.
Comment pouvons-nous arrêter la violence? Nous devons reconnaître que la violence est souvent le résultat d’obstacles et d’inégalités systémiques.
Le manque de logement, la pauvreté, la pénurie alimentaire, voilà tous des facteurs potentiellement importants de la violence qui doivent être traités en y accordant les sommes nécessaires, sinon les cycles de violence se poursuivront, et les personnes les plus vulnérables et les plus exposées au risque de victimisation ne seront jamais vraiment à l’abri du danger.
Les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, qui peuvent aussi être des précurseurs de la criminalité et de la violence familiale, ont besoin d’une aide et d’un soutien accessibles et rapides.
C’est une situation qui met en lumière l’importance de l’intervention précoce et de la prévention pour interrompre la violence.
Les praticiens ont besoin de fonds qu’ils peuvent utiliser en première ligne dès maintenant, pour mettre en œuvre les outils dont ils ont besoin, des mesures de détection améliorées aux programmes de prévention.
Le guide contient de nombreux exemples de bonnes pratiques en matière de prévention de la violence, ce qui montre que de nombreux outils novateurs sont réellement à notre disposition et que nous devrions les adopter à grande échelle.
Par exemple, l’initiative REACH pour les immigrants et les réfugiés, active en Alberta, travaille avec les familles d’immigrants et de réfugiés pour cibler les facteurs de risque qui exposent ces groupes démographiques à un risque plus élevé de violence familiale, de manière culturellement sûre et adaptée.
Le programme Triple P, actif aux États-Unis, vise à réduire les facteurs de risque de maltraitance des enfants en proposant un programme complet de formation des parents, conçu pour prévenir ou modifier les pratiques parentales néfastes.
Nous savons également que les programmes destinés aux témoins, tels que Bringing in the Bystander, apportent aux communautés de l’information précieuse sur la violence familiale et sur les signes à reconnaître indiquant qu’une personne est peut-être en train de souffrir.
Et ces programmes sont applicables à tous, car ils reposent sur l’idée que les citoyens peuvent jouer un rôle dans la prévention de la violence.
Ces outils pratiques peuvent être appliqués dans les communautés dès maintenant si un financement durable est accordé à cette fin.
De plus, les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées offrent des solutions dirigées par les Autochtones au cycle de la violence, et c’est pourquoi je pense que leur mise en œuvre doit être accélérée.
Il s’agit d’un point essentiel, étant donné que les femmes et les filles autochtones et les personnes 2SLBTQ+ sont confrontées aux taux de violence familiale les plus stupéfiants et disproportionnés du pays.
Je crois également que les réponses du système judiciaire peuvent être améliorées pour prévenir la victimisation.
Actuellement, je demande que les comportements coercitifs et contrôlants soient reconnus comme des infractions au Code criminel.
Le contrôle coercitif est une tactique utilisée par les abuseurs. Il s’agit d’un ensemble de comportements préjudiciables (violence psychologique, jalousie sexuelle, harcèlement, contrôle financier et autres) qui visent à intimider et à contrôler la victime et à faire naître la peur chez elle.
Le système de justice pénale canadien a comme critère pour établir les cas de violence conjugale l’incidence d’actes violents, de sorte que les comportements coercitifs et contrôlants échappent au système de justice. Mais les abus rapportés par les survivants ne se manifestent pas toujours par des agressions physiques.
En modifiant notre Code criminel pour reconnaître le contrôle coercitif, la police disposera d’un outil pour intervenir avant que le comportement contrôlant ne dégénère en violence physique.
Ce point est important, car les experts ont établi que le contrôle coercitif est un précurseur important du féminicide dans le monde entier.
D’autres pays ont élaboré et adopté de nouvelles infractions liées au contrôle coercitif au cours des dernières années, et je crois qu’il est impératif que le Canada leur emboîte le pas.
Il y a six ans, le Canada s’est engagé à atteindre les objectifs de développement durable des Nations Unies d’ici 2030, avec les autres États membres.
Ces objectifs, le cinquième en particulier, visent entre autres la réduction de la violence, y compris les homicides et la violence contre les femmes et les filles.
Pour atteindre ces cibles, les objectifs exigent que tous les ordres de gouvernement mettent en œuvre des moyens efficaces pour empêcher la violence avant qu’elle ne se produise.
D’importantes sommes doivent être consacrées à la prévention de la violence si nous voulons atteindre ces objectifs.
Les preuves sont là. Consacrer des sommes à la prévention est le moyen le plus rentable de réduire la violence et de renforcer la sécurité des communautés.
Nous avons du pain sur la planche, mais nous avons les connaissances et l’expertise nécessaires. Nous pouvons apprendre des meilleures pratiques établies. Le bon moment est arrivé.
Je réaffirme mon propre engagement à travailler pour mettre fin à la violence et à la victimisation par la prévention, dans mon rôle d’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels
Je tiens à remercier une fois de plus le RMCPC de nous avoir invités à collaborer à ce guide critique et important.
J’espère qu’il sera largement diffusé et qu’il fournira des informations pratiques aux fournisseurs de services et aux responsables communautaires qui pourront mettre en place des actions visant à prévenir la violence avant qu’elle ne se produise. La violence n’est pas inévitable, comme l’a fait remarquer mon bon ami et collègue, Irvin Waller. Nous pouvons mettre un TERME à la violence, sauver des vies et prévenir les dommages à long terme qui en découlent.
À tous ceux qui suivent le lancement de ce guide aujourd’hui, je dis merci, thank you, miigwetch.