Le 2 février, 2023
Ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels
Remarques devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, projet de loi C-28
Honorable président, membres du Comité,
Je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui.
Nous sommes présents aujourd’hui sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin Anishinaabe. Je reconnais notre responsabilité commune, et ma responsabilité personnelle, de travailler à la lutte contre le colonialisme, le racisme et l’oppression historiques et actuels des peuples autochtones. Pour ce faire, il faut s’employer ensemble à démanteler la criminalisation des peuples autochtones et apprendre de la résilience et du dynamisme des diverses cultures autochtones.
Il y a trois mois, j’ai été nommé ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels. Je suis très reconnaissant de cette possibilité de servir les victimes et les survivants d’actes criminels au Canada.. Je tiens à remercier les membres de ce comité de leur travail inlassable
Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels
Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels (BOFVAC) est une ressource indépendante pour les victimes du Canada. Le Bureau a été créé afin de s’assurer que le gouvernement du Canada s’acquitte de ses engagements à l’égard des victimes d’actes criminels. Les victimes peuvent contacter le Bureau pour se renseigner sur leurs droits en vertu des lois fédérales et sur les services fédéraux à leur disposition, ou pour déposer une plainte à l’égard d’institutions fédérales ou de mesures législatives fédérales les concernant. Nous contribuons à résoudre les problèmes et à trouver des solutions lorsque les droits des victimes n’ont pas été respectés, et nous collaborons avec les intervenants à l’échelle du pays pour déterminer les nouvelles tendances ou questions qui touchent les victimes d’actes criminels. Dans la foulée de ce travail, nous formulons, le cas échéant, des recommandations à l’intention des organismes fédéraux et nous veillons à ce que les préoccupations des victimes soient prises en compte dans le processus législatif.
Cour suprême du Canada (CSC)
Lorsque la Cour suprême du Canada (CSC) a statué dans l’arrêt R. c. Brown que l’article 33.1 du Code criminel était inconstitutionnel, cela a eu des effets immédiats et néfastes sur les survivants de crimes violents. Le libellé de la loi et le langage utilisé par la CSC sont difficiles à comprendre et ont contribué à une désinformation généralisée sur des expériences hautement traumatisantes et personnelles dans la vie des Canadiens. Les organisations qui soutiennent les femmes victimes de violence fondée sur le sexe (VFS), et en particulier de nombreuses jeunes survivantes d’agressions sexuelles, estiment que le gouvernement a laissé l’intoxication devenir une défense admissible pour la violence imposée au corps des femmes et des filles. Cette conviction a été source d’une détresse considérable, faisant rejaillir des souvenirs traumatisants et provoquant des manifestations dans les écoles secondaires où les jeunes survivantes ont partagé leurs expériences personnelles, parfois sans les ressources nécessaires pour le faire en toute sécurité.
Projet de loi C-28
je crois qu’il était urgent d’agir et je suis reconnaissant de la rapidité avec laquelle le gouvernement a réagi à l’arrêt de la CSC. Je suis également reconnaissant du message clair qu’a envoyé le ministre de la Justice et procureur général du Canada, l’honorable David Lametti, lorsqu’il a répété à plusieurs reprises : « Le fait d’être ivre ou drogué ne constitue pas une défense pour des actes criminels tels que des agressions sexuelles. » Je pense qu’il s’agit là d’une manifestation d’empathie qui permet d’espérer une intervention face aux autres préoccupations soulevées par les victimes d’actes criminels.
Je comprends également que l’approche non conventionnelle consistant à adopter cette mesure législative avant qu’elle ne puisse être pleinement examinée et évaluée par nos comités parlementaires a créé l’obligation de s’engager maintenant dans ce processus de manière significative.
L’intoxication causée par l’alcool et d’autres substances est une réalité très présente dans de nombreux contextes qui conduisent à la victimisation criminelle. Dans les réalités désordonnées de ces situations, les gens peuvent tantôt prendre, tantôt perdre conscience de leur comportement et des effets qu’ils ont sur autrui, ce qui rend difficile d’établir des critères objectifs sur la culpabilité. D’autres témoins ont déjà expliqué que la défense de l’intoxication extrême est surtout avancée par des hommes qui commettent des actes de violence contre des femmes. Je crois qu’il s’agit d’une considération importante à la lumière du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe.
Recommandations
En novembre 2022, j’ai comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne afin de discuter du projet de loi C 28, et j’ai fait trois recommandations simples.
Notre bureau formule quelques recommandations simples.
- Langage clair. La mésinformation continue au sujet de cette mesure législative aura des conséquences pour les femmes et les filles. Le libellé du projet de loi C-28 est complexe, et nous recommandons de continuer à transmettre des messages clairs au public.
[P. ex. « […] elle s’est écartée de façon marquée de la norme de diligence attendue d’une personne raisonnable, dans les circonstances, relativement à la consommation de substances intoxicantes. »
Je constate avec plaisir que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a recommandé la tenue d’une campagne de sensibilisation du public afin d’expliquer le projet de loi C 28 en langage clair.
- Consultation véritable. Les divers points de vue des Canadiens qui ont été communiqués devant le Comité doivent façonner la mesure législative. Nous recommandons d’apporter des révisions à la mesure législative si des préoccupations importantes sont relevées.
- Suivi. L’intoxication est très courante dans les contextes de crimes violents, et les groupes de femmes et les survivants vous ont fait part de leurs préoccupations considérables quant à la possibilité d’abuser de cette défense. Je sais que le Comité de la Justice a recommandé qu’un examen formel soit réalisé après trois ans afin de garantir que le projet de loi C 28 satisfait aux objectifs du législateur, et pour évaluer ses effets sur les victimes d’actes criminels. J’appuie cette recommandation.
Merci encore du temps que vous m’avez consacré.
Annexe
Texte du projet de loi
1 L’article 33.1 du Code criminel et l’intertitre le précédant sont remplacés par ce qui suit :
Intoxication volontaire extrême
33.1 (1) La personne qui, en raison de son intoxication volontaire extrême, n’a pas l’intention générale ou la volonté habituellement requise pour commettre une infraction visée au paragraphe (3) la commet tout de même si :
- a) d’une part, tous les autres éléments constitutifs de celle-ci sont présents;
- b) d’autre part, avant de se trouver dans un état d’intoxication extrême, elle s’est écartée de façon marquée de la norme de diligence attendue d’une personne raisonnable, dans les circonstances, relativement à la consommation de substances intoxicantes.
Écart marqué — prévisibilité du risque et autres circonstances
(2) Pour décider si la personne s’est écartée de façon marquée de la norme de diligence, le tribunal prend en compte la prévisibilité objective du risque que la consommation des substances intoxicantes puisse provoquer une intoxication extrême et amener la personne à causer un préjudice à autrui. Dans sa prise de décision, il prend aussi en compte toute circonstance pertinente, notamment ce que la personne a fait afin d’éviter ce risque.
Infractions visées
(3) Le présent article s’applique aux infractions créées par la présente loi ou toute autre loi fédérale dont l’un des éléments constitutifs est l’atteinte ou la menace d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne, ou toute forme de voies de fait..
Définition d’extrême
(4) Au présent article, extrême se dit de l’intoxication qui rend une personne incapable de se maîtriser consciemment ou d’avoir conscience de sa conduite.
Publié avec l’autorisation du président de la Chambre des communes