Lettre adressée à Jennifer Oades, présidente de la Commission des libérations conditionnelles du Canada sur le renforcement de l’approche tenant compte des traumatismes dans les interactions avec les victimes inscrites
Le 31 août 2020
PAR COURRIEL
Mme Jennifer Oades, présidente
Commission des libérations conditionnelles du Canada
410, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0R1
Courriel : Jennifer.oades@pbc-clcc.gc.ca
Madame Oades,
J’espère que vous vous portez bien et êtes en sécurité pendant la pandémie. Je vous écris car je pense que la Commission des libérations conditionnelles du Canada peut prendre des mesures pour consolider l’approche tenant compte des traumatismes dans les interactions avec les victimes inscrites, en vue d’améliorer les services, les politiques et les pratiques, afin de réduire les préjudices et les traumatismes supplémentaires pour les victimes. Récemment, nous avons reçu des plaintes selon lesquelles les commissaires de la CLCC et le personnel régional :
- Imposaient certaines conditions à un délinquant, mais lui permettaient de vivre dans la communauté, tout juste à côté de l’endroit où vivent ou passent fréquemment les victimes. Désormais, les victimes sont tenues d’informer le Service correctionnel du Canada (SCC) 48 heures à l’avance si elles souhaitent se rendre à cet endroit, afin que l’agent de libération conditionnelle du délinquant s’assure de son absence. Cela provoque une détresse et une anxiété importantes chez les victimes qui estiment que cela permet à leur agresseur de savoir où elles se trouvent. Leur sentiment de sécurité et leur bien-être psychologique sont également affectés, ce qui devrait être pris en considération dans le cadre de la réinsertion sécuritaire d’un délinquant.
- Ont émis un avertissement aux victimes au début d’une audience par téléconférence, leur demandant de ne pas divulguer aux médias des informations sur l’audience. Les victimes ont vécu cet avertissement comme une menace voilée, ce qui a causé beaucoup d’anxiété et de préjudices supplémentaires. Les termes utilisés par le personnel régional de la CLCC étaient intimidants. Bien qu’il existe des règles procédurales que le greffier d’audience doive expliquer aux victimes, par exemple, pour s’assurer qu’elles n’enregistrent pas l’audience, les victimes ont le droit de s’adresser aux médias pour faire part de leur expérience lors de l’audience, si elles le souhaitent, et cela doit être précisé.
- N’ont pas assuré une gestion cohérente concernant les médias, en particulier dans les affaires très médiatisées, pendant la pandémie de la Covid-19. Le personnel régional coordonnait auparavant la participation des médias et avait un porte-parole présent à l’audience, ce qui était très utile et apprécié; toutefois, on a laissé les victimes gérer tout cela pendant la pandémie. Le fardeau des demandes des médias ne doit pas être placé sur les épaules des victimes, car cela ajoute de l’angoisse et de la souffrance, alors qu’elles tentent de faire face au poids émotionnel de l’audience elle-même. Le personnel de la CLCC devrait être disponible pour répondre aux demandes des médias concernant une audience et la décision de la Commission.
Les approches tenant compte des traumatismes constituent des politiques et des pratiques relatives à la fourniture de services et de programmes qui, en particulier lorsqu’elles tiennent également compte de la violence, contribuent à minimiser les dommages causés aux victimes et à favoriser la guérison et la justice. La mise en œuvre d’approches intersectorielles tenant compte des traumatismes fournit un cadre conceptuel commun qui renforce les efforts visant à élaborer des réponses multisectorielles intégrées. Ces approches créent également des occasions pour les systèmes, et ceux qui y travaillent, d’améliorer les services qu’ils fournissent aux personnes touchées par la violence.1
En outre, les approches tenant compte des traumatismes reposent sur une compréhension fondamentale de l’impact de la violence et des traumatismes sur la vie, la santé et les comportements des personnes. De telles approches nécessitent des changements fondamentaux dans la conception des systèmes, le fonctionnement des organisations et la manière dont les prestataires de services interviennent auprès des victimes. Les approches tenant compte des traumatismes sont relationnelles; elles reconnaissent que les expériences de violence des individus sont liées à la manière dont les systèmes y répondent. En intégrant la compréhension des traumatismes dans tous les éléments des politiques et des pratiques, les approches tenant compte des traumatismes donnent la priorité à la sécurité émotionnelle et physique des victimes, et facilitent la maîtrise de la violence par les victimes et leurs réactions à celle-ci. Cette intégration s’appuie également sur leurs forces et contribue au rétablissement.2
Ainsi, afin de renforcer la réponse tenant compte des traumatismes de la CLCC aux victimes inscrites, je recommande ce qui suit :
- Étant donné que le terme « victime » est défini dans la LSCMLC comme incluant une personne qui a subi un préjudice moral, et que le paragraphe 133(3.1) de la LSCMLC exige que les commissaires prennent en considération les préoccupations que la victime a quant à sa sécurité, les commissaires de la CLCC devraient être invités à élargir leur compréhension de la sécurité pour y inclure également la sécurité émotionnelle des victimes. La santé mentale et le bien-être psychologique des victimes constituent une part importante de leur sentiment de sécurité. Cela garantira que les commissaires de la CLCC prennent des décisions en tenant compte des traumatismes subis et en accordant la priorité à la sécurité émotionnelle et physique des victimes.
- Demander aux commissaires de la CLCC de toujours fournir des motifs écrits lorsqu’ils n’imposent pas les conditions demandées par les victimes (paragraphe (3.1)), comme le prévoit le paragraphe (3.2). La communication d’informations et de raisonnements clairs aide les victimes à comprendre pourquoi la décision a été prise, et entraînera moins de frustration et de perte de contrôle de la part des victimes.
- Le personnel régional de la CLCC doit réviser le vocabulaire utilisé dans l’avertissement émis aux victimes avant leur participation à la téléconférence, pour s’assurer qu’il est empreint de sensibilité et qu’il tient compte des traumatismes subis. Le langage utilisé dans les communications avec les victimes doit être non menaçant, et se concentrer sur les choses précises ou pratiques que les victimes peuvent faire ou non, afin qu’elles aient une compréhension claire.
- Le personnel régional de la CLCC doit se charger des relations avec les médias et de la gestion connexe, en particulier dans les affaires très médiatisées, afin que les victimes inscrites ne soient pas confrontées à des charges ou à des pressions supplémentaires pour communiquer aux médias les conclusions des audiences.
Il me tarde de pouvoir discuter davantage de ces recommandations avec vous, et de collaborer avec vous pour veiller à ce que les besoins des victimes soient satisfaits.
Salutations distinguées,
Heidi Illingworth
Ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels
[1] [2] https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr9-rd9/p2.html
Réponse
Le 17 septembre 2020
Bonjour Heidi,
J'espère que vous allez bien et que vous êtes en sécurité. Désolée pour ma réponse tardive. J'étais en vacances.
Le message que vous m'avez envoyé le 31 août contenait plusieurs recommandations visant à renforcer les réponses de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC ou la Commission) aux victimes d'actes criminels, en tenant compte de leurs traumatismes. La CLCC s'est engagée à mettre en œuvre des réponses éclairées par le traumatisme tant auprès des délinquants que des victimes d'actes criminels tout en rendant des décisions claires et transparentes. Votre correspondance arrive à point nommé, car la Commission entreprend actuellement un certain nombre d'initiatives visant à améliorer nos politiques, nos pratiques et la formation dans une perspective fondée sur les traumatismes.
Ces dernières années, la Commission a dispensé des formations sur le thème des traumatismes à ses commissaires et son personnel travaillant avec les victimes d'actes criminels. Par exemple, en juillet 2020, Sylvie Blanchet, notre première vice-présidente, a envoyé un communiqué de formation à tous les commissaires de la Commission, aux directeurs généraux régionaux et aux membres de notre équipe de direction sur le thème : « Approches des audiences tenant compte des traumatismes ». Une formation sur les traumatismes a également été dispensée aux commissaires et à certains membres du personnel de la CLCC lors de nombreuses sessions de la Formation annuelle sur l'évaluation des risques (FAER) de la Commission. Par exemple, lors de la FAER de 2019, le Dr Shelley Brown a donné un atelier sur les approches fondées sur les traumatismes lors des audiences de libération conditionnelle et Mme Gail Joly et le Dr Audrey Rousseau ont donné une séance plénière sur les approches fondées sur les traumatismes pour les délinquants autochtones, qui comprenait une discussion sur les personnes ayant été victimes de traumatismes. En 2018, le Dr Lori Haskell a présenté un atelier sur les « audiences de la Commission des libérations conditionnelles éclairées par les traumatismes », qui comprenait des informations sur les victimes de traumatismes ainsi que sur les effets des traumatismes sur le cerveau. En 2017, les commissaires et certains membres du personnel ont participé à la conférence annuelle de l'Association internationale des responsables des libérations conditionnelles (APAI). Lors de cette conférence, les commissaires ont pu assister à divers ateliers sur les traumatismes, notamment : “Giving Victims a Voice in the Parole Process in Canada”, “The Impact and Implications of Intergenerational Trauma Effects on Criminality, Victimization, and Development”, et “Implementing Gender-Informed Strategies in Parole Release and Supervision”.
Comme vous vous en souvenez peut-être dans la correspondance précédente, la CLCC a travaillé avec le Centre d'excellence en communication sur l’élaboration d'un outil de communication pour le personnel de la CLCC qui travaille avec les victimes d'actes criminels afin de s'assurer qu'il intègre les meilleures pratiques en matière de communication fondée sur les traumatismes. Nous avons entrepris une vaste consultation pour développer cet outil, notamment avec les victimes d'actes criminels, les organisations d'aide aux victimes, et les partenaires de tous les niveaux de gouvernement, y compris votre bureau. Je suis heureuse de vous informer que nous sommes maintenant dans les dernières phases de ce projet et que vous recevrez une copie de l'outil lui-même pour des commentaires ou des recommandations finales avant sa mise en œuvre. Votre point de vue est apprécié et nous permettra d'avancer en tant qu'organisation de manière à répondre aux besoins des victimes.
Les commissaires sont formés pour adopter une perspective holistique lorsqu'ils imposent des conditions, en tenant compte de tous les facteurs pertinents liés au cas. Lorsqu'ils imposent des conditions pour protéger la victime, les commissaires prennent en compte la déclaration de la victime décrivant les dommages physiques et émotionnels causés par l'infraction, ainsi que toute préoccupation de sécurité soulevée par la victime. En ce qui concerne les motifs écrits de leur décision, pour garantir l'équité et la compréhension, les commissaires fournissent des motifs de décision qui résument leurs conclusions générales et leur évaluation du risque de récidive du délinquant, ainsi qu'une justification claire de leur décision. La CLCC examine actuellement des initiatives en matière de politique et de formation pour renforcer son approche de la rédaction de décisions en tenant compte des traumatismes, en particulier dans les cas où les conditions demandées par la victime n'ont pas été imposées.
En ce qui concerne les audiences tenues à distance durant la pandémie de la COVID-19, je regrette que certaines victimes vous aient indiqué qu'elles estimaient que le langage utilisé pour faciliter leur participation à distance par téléphone était menaçant. Avant de commencer une audience de libération conditionnelle, comme c'est notre pratique habituelle, les personnes sont informées de la manière dont l'audience sera tenue. Lors de la mise en œuvre de nouvelles options de participation à distance pour permettre aux victimes d'assister à l'audience, une clause de non-responsabilité a été ajoutée à ce briefing pour s'assurer que tous les observateurs et assistants, y compris les victimes, comprennent l'obligation légale de la CLCC de protéger les informations privées et confidentielles discutées lors de l'audience. Le langage utilisé dans cette clause de non-responsabilité a été adapté pour plus de clarté au cours de la pandémie, y compris les commentaires reçus directement des victimes. En particulier, la clause de non-responsabilité a été révisée afin de préciser que la Commission fait spécifiquement référence aux restrictions concernant l'enregistrement de l'audience ou la diffusion sur haut-parleur pour d'autres personnes.
Bien que je compatisse avec les victimes et les membres de leur famille qui trouvent que les projecteurs des médias avant et après une audience sont envahissants, cela échappe malheureusement en grande partie au contrôle de la Commission. Comme vous le savez, la CLCC est limitée dans les informations qu'elle peut fournir aux médias en vertu de la loi. Je tiens à vous assurer que la Commission continue d'explorer les possibilités d'augmenter le nombre de participants, y compris les médias, qui peuvent participer à une audience à distance.
Je vous remercie encore une fois pour vos recommandations.
Demeurez en sécurité,
Jennifer