Lettre à l’honorable Bill Blair sur la prévention de la victimisation attribuable à l’utilisation d’armes de poing

 

10 décembre 2020

L’honorable Bill Blair
Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile
269, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0P8


Objet : Prévention de la victimisation attribuable à l’utilisation d’armes de poing  


Monsieur le Ministre,


Je vous remercie de vous être entretenu avec moi au cours de notre réunion bilatérale trimestrielle du 29 octobre 2020. Je donne suite à notre conversation pour m’assurer que les 250 millions de dollars promis en 2019 sur cinq ans aux municipalités canadiennes pour lutter contre la violence armée sont débloqués immédiatement. Il est urgent de s’attaquer aux homicides commis au moyen d’armes de poing dans les grandes villes canadiennes, qui font un nombre disproportionné de victimes chez les jeunes hommes noirs, autochtones et de couleur. Ces victimes ne doivent pas être oubliées, pas plus que leurs familles. Même si j’estime qu’une interdiction complète et globale de la vente et de la possession de toutes les armes de poing est nécessaire, je soutiens aussi fermement les investissements prévus dans la prévention, notamment en ce qui concerne les facteurs de risque susceptibles de contribuer à la violence. Comme vous le savez, il existe des données probantes solides en faveur d’investissements équilibrés dans la prévention, l’intervention et l’application de la loi en tant que stratégie efficace de réduction de la violence.

Statistique Canada fait état d’une augmentation de 42 % des crimes liés aux armes à feu au Canada depuis 2013. Le plus récent rapport de Statistique Canada, Statistiques sur les crimes déclarés par la police au Canada, 2019, indique que « plus de 40 % des homicides commis au Canada en 2019 étaient liés à des armes à feu, et les armes de poing sont demeurées les armes à feu les plus couramment utilisées pour commettre un homicide, ce qui est le cas depuis 1995. Les armes de poing sont à l’origine de 60 % des homicides qui ont été commis à l’aide d’une arme à feu en 2019 ». Beaucoup d’autres personnes sont blessées et survivent aux fusillades, mais conservent de graves séquelles physiques et psychologiques et reçoivent peu d’aide ou de soutien qui leur permet de se rétablir à long terme. Des données supplémentaires sont nécessaires. Je recommande que Sécurité publique Canada fasse équipe avec le Centre canadien de la statistique juridique de Statistique Canada pour investir dans la collecte de données supplémentaires dans les collectivités les plus à risque du Canada concernant les chemins qui mènent à la violence, et en particulier le lien entre les facteurs socioéconomiques et la violence commise à l’aide d’armes à feu.

Les effets d’entraînement de la violence armée causent d’énormes dommages, des traumatismes et des défis permanents aux collectivités et aux familles qui ont perdu un être cher, des amis ou des collègues des victimes. Pour les parents, la perte d’un enfant attribuable à la violence armée est une expérience atroce. Les traumatismes et le stress intenses subis par les membres survivants de la famille augmentent le risque de souffrance psychologique et de maladie mentale à long terme. Ces risques sont accrus lorsque les familles et les collectivités auxquelles appartiennent les victimes sont marginalisées, manquent de soutien social et subissent un fardeau financier en raison des décès attribuables aux armes à feu. En outre, l’exposition à la violence peut avoir des effets négatifs à long terme sur les jeunes qui n’ont pas accès à un traitement ou à des services de consultation psychologique à la suite d’un incident. En l’absence de soutien, les facteurs de risque susceptibles de contribuer à la violence peuvent être aggravés. Je recommande à Sécurité publique Canada de fournir un financement durable aux organismes communautaires pour qu’ils puissent offrir un soutien aux victimes par l’entremise de centres de résilience qui traitent les victimes, les survivants blessés et les membres de leur famille, leurs amis et les collectivités touchées par la violence armée. Les centres de résilience font appel à des professionnels pour créer un mécanisme de résilience par le truchement de services, de programmes et de rassemblements communautaires servant à promouvoir la guérison et le mieux-être dans une approche intégrée, à fournir de l’éducation et à rassembler les gens dans un dialogue significatif en mettant l’accent sur les besoins de la collectivité locale, ainsi que des victimes de tragédies1.

De nombreuses armes de poing utilisées pour commettre des crimes violents sont soit volées, soit importées illégalement, puis font l’objet d’un trafic, généralement dans les grandes villes. Je ne crois pas qu’une interdiction à elle seule réussira à empêcher les criminels de mettre la main sur ces armes. Nous devons renforcer la sécurité aux frontières, car de nombreuses armes à feu franchissent illégalement la frontière sud chaque année. Je suis favorable à l’élargissement des lois sur le signalement pour inclure les membres de la famille, les victimes et les autres membres de la collectivité afin de leur permettre de signaler les individus potentiellement dangereux (en particulier dans un but de réduction des suicides et de la violence entre partenaires intimes), mais je ne suis pas certaine que les lois sur le signalement puissent résoudre le problème social des jeunes qui adhèrent à des gangs.

Des recherches (principalement aux États-Unis, mais aussi au Royaume-Uni et au Canada) laissent entendre que pour de nombreux jeunes, le gang est un moyen de survie. L’appartenance à un gang offre à ceux dont la vie est marquée par des inégalités systémiques, des systèmes de soutien inefficaces, des expériences de victimisation et des sentiments de désespoir la possibilité de gagner de l’argent, d’acquérir un statut social, d’obtenir une protection et de ressentir un sentiment

d’appartenance. Le gang est perçu comme un milieu qui offre un certain nombre d’avantages2. Je recommande à Sécurité publique Canada d’aider à financer et à établir davantage de modèles de carrefour partout au Canada, qui permettront d’améliorer tous les aspects du mieux-être social et qui conféreront aux citoyens et aux familles à risque le soutien nécessaire pour leur permettre de mener une vie positive et saine. Comme vous le savez, les recherches démontrent le rapport coûts-avantages des efforts de prévention précoce qui se concentrent sur les jeunes dans les milieux à haut risque avant que les comportements problématiques ne se manifestent3.

Les pratiques exemplaires en matière de prévention de la violence adoptent une approche globale, accompagnée d’efforts coordonnés entre les secteurs, tels que la santé, l’éducation, les organismes communautaires, ainsi que les forces de l’ordre. Nous devons prévenir les expériences négatives pendant l’enfance et nous attaquer aux conditions sociales qui conduisent à la criminalité afin d’aider les collectivités à renforcer leur résilience et leur capacité à l’échelle locale. Je me réjouis de l’occasion qui m’est donnée d’en discuter plus en profondeur avec vous et j’attends avec impatience votre réponse sur cette question importante. Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

 

Heidi Illingworth
Ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels