Mémoire présenté au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes dans le cadre de l’étude portant sur les comportements contrôlants ou coercitifs dans les relations intimes
Présenté par : Mme Heidi Illingworth, ombudsman
Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels
Février 2021
Contexte
À titre d’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, mon mandat consiste à aider le gouvernement fédéral à s’acquitter de ses obligations envers les victimes. En plus d’aider les victimes, j’ai aussi la responsabilité de cerner et de faire ressortir les problèmes émergents et systémiques qui ont une incidence négative sur les victimes d’actes criminels à l’échelle fédérale.
Le contrôle coercitif dans le contexte de la violence entre partenaires intimes est l’un de ces problèmes systémiques.
La violence entre partenaires intimes représente un problème psychosocial complexe qui englobe la violence physique, sexuelle et affective, de même que les comportements contrôlants à l’intérieur d’une dynamique de violence. De nature multidimensionnelle, la violence entre partenaires intimes englobe de nombreuses formes de violence et peut se traduire par des formes subtiles de violence, comme la coercition et les menaces, l’exploitation financière ou la violence affective, l’intimidation ou l’isolement. Par contrôle coercitif, on entend les comportements qui visent à manipuler et à intimider un partenaire intime et à instiller la peur chez lui[1]. Selon des experts, les comportements coercitifs et contrôlants sont d’importants précurseurs des féminicides commis partout dans le monde. Autre constat important : la violence entre partenaires intimes ne touche pas que les personnes mariées ou vivant en union de fait, mais aussi les personnes qui entretiennent une relation amoureuse et les personnes qui habitent ensemble. D’ailleurs, les jeunes sont plus à risque d’être victime de cette forme de violence. Selon des données recueillies par Statistique Canada sur les incidents de violence entre partenaires intimes déclarés par la police au Canada en 2018, la violence entre partenaires amoureux (17 % des victimes) était plus fréquente que la violence conjugale (13 % des victimes)[2].
En avril 2020, mon Bureau a demandé à la professeure Carmen Gill et à la candidate au doctorat Mary Aspinall d’étudier la question. Elles ont alors ont rédigé le rapport de recherche intitulé Comprendre le contrôle coercitif dans le contexte de la violence entre partenaires intimes au Canada : Comment traiter la question par l’entremise du système de justice pénale?[3] Mon Bureau a également demandé au professeur Benjamin Roebuck de produire un rapport de recherche en août 2020. Ce rapport est intitulé Survivants masculins de la violence conjugale au Canada[4].
J’ai par la suite écrit une lettre à l’honorable David Lametti, ministre de la Justice, pour lui faire part de ma recommandation au gouvernement de modifier le Code criminel du Canada afin d’y ériger le contrôle coercitif en infraction criminelle. Dans ma lettre, je mentionnais que cette nouvelle infraction criminelle apporterait une compréhension du problème qui dépasse celle de l’approche fondée sur l’incident. En effet, elle permettrait de reconnaître un modèle de violence psychologique qui engendre de la peur et des préjudices chez les victimes dans le contexte d’une relation intime.
C'est avec plaisir que je présente un mémoire sur ce sujet au Comité.
Le projet de loi C‑247 propose de modifier le Code criminel afin d’ériger en infraction le fait de se livrer à une conduite contrôlante ou coercitive qui a un effet important sur la personne envers laquelle elle est dirigée, tel la crainte de violence, le déclin de la santé physique ou mentale, ou un effet préjudiciable important sur les activités quotidiennes.
D’après les statistiques de Statistique Canada sur les crimes déclarés par la police au Canada en 2018[5] :
- près du tiers des affaires de violence déclarées par la police surviennent entre partenaires intimes;
- plus de 99 000 personnes de 15 à 89 ans ont été l’objet de violence aux mains d’un partenaire intime;
- les femmes représentent 79 % des victimes.
Le problème touche l’ensemble du Canada puisque ce type de violence fondée sur le sexe ne connaît pas de frontières. Les victimes sont des femmes dans la très vaste majorité des cas, et les inégalités sociales en exacerbent les effets. Il convient toutefois de préciser que les comportements coercitifs et contrôlants peuvent également se produire dans les relations entre des personnes de même sexe. Selon le rapport Survivants masculins de la violence conjugale au Canada, un cas de violence entre partenaires intimes sur cinq signalés à la police au Canada met en cause un homme. En 2018, on a ainsi dénombré 20 600 victimes de sexe masculin. Cela dit, les hommes sont moins susceptibles de signaler la violence dont ils sont victimes à la police et, lorsqu’ils le font, ils risquent dans certains cas d’être considérés comme l’agresseur[6].
L’Organisation mondiale de la santé considère la violence entre partenaires intimes comme un important problème de santé publique à l’échelle mondiale, dont les victimes se comptent par millions et qui peut avoir des conséquences sanitaires, sociales et économiques immédiates et de longue durée[7]. Cette violence touche des personnes de tous âges, sans égard à leur sexe, à leur situation socioéconomique, à leur origine raciale ou ethnique, à leur scolarité ou à leurs antécédents culturels. Les femmes représentent néanmoins la très grande majorité des victimes de cette forme de violence fondée sur le sexe, et celle‑ci est le plus souvent perpétrée par des hommes[8].
Le langage genré employé dans le présent document est donc appuyé par les statistiques et la recherche. Cela dit, il est important de souligner que le phénomène de la violence entre partenaires intimes ne touche pas que les relations hétérosexuelles et qu’il est tout aussi essentiel de tenir compte des répercussions du contrôle coercitif pour les personnes qui se définissent comme étant bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers, en questionnement, intersexuées et asexuelles (2ELGBTQQIA).
Dans la dernière année, les mesures de confinement et l’isolement social imposés pour endiguer la propagation de la pandémie de COVID‑19 ont créé un climat explosif dans lequel la violence entre partenaires intimes a pris des proportions telles qu’on parle maintenant de pandémie parallèle. Malheureusement, les cris à l’aide des victimes ont suivi une tendance inverse. Comme la surveillance fait partie des tactiques de prédilection dans ce type de violence, les victimes se retrouvent plus que jamais coupées de leur réseau de soutien social et sont en contact constant avec leur agresseur, qui, dans certains cas, les empêche d’utiliser des moyens technologiques pour joindre les services essentiels ou des personnes qui pourraient les aider. La pandémie n’est pas une excuse pour laisser des agresseurs perpétrer des actes de violence en toute impunité dans leur espace privé.
Hélas, quand elles se décident à sortir de l’ombre, les victimes de la violence entre partenaires intimes se butent à un système de justice pénale qui ne peut pas vraiment répondre à leurs besoins. Cette impuissance s’explique par le fait que le Code criminel ne reconnaît pas les comportements de contrôle coercitif comme la violence affective, psychologique ou financière, et que les outils d’intervention des organismes d’application de la loi sont par conséquent limités.
Le plus inquiétant est de savoir que des homicides surviennent parce que les forces policières et les tribunaux ont les mains liées tant qu’il n’y a pas de violence physique réelle rattachée à un signalement de comportements contrôlants et coercitifs.
Ce que les victimes et les personnes survivantes ont révélé au Bureau de l’ombudsman
En mars 2020, mon Bureau a animé un forum communautaire à Yellowknife dont l’objectif était de favoriser les échanges avec les victimes d’actes criminels dans le Nord. Des fournisseurs de services aux victimes, des intervenants du système de justice pénale, des personnes survivantes et des militants sont venus témoigner de leur expérience du crime et du système canadien de justice pénale. De façon générale, les participants ont dénoncé l’évolution trop lente du système et son absence de reconnaissance de la réalité de la violence entre partenaires intimes et des comportements coercitifs. L’un d’entre eux résume ainsi ce manque de vision :
« Des agressions sont des événements qui surviennent lorsque vous prenez part à une bagarre dans un bar. La violence conjugale est une atteinte psychologique ou financière. C’est une forme de violence qui doit être reconnue. » [traduction]
Le Bureau de l’ombudsman a entendu le même cri du cœur de la part de nombreuses personnes survivantes de partout au pays.
Un autre participant a souligné l’importance de faire de la sensibilisation pour sauver la vie de personnes qui ne réalisent pas qu’elles sont l’objet de comportements de contrôle coercitif. Il n’est pas rare en effet qu’une personne ne soit pas consciente que ce qu’elle endure à la maison ou dans sa relation est une forme de violence. On nous a rapporté que dans bien des cas, les actes de violence se produisent entre des personnes qui se connaissent. De plus, l’agresseur est parfois le principal soutien de la famille, et l’envoyer en prison signifie priver la famille de son pourvoyeur. Cette dépendance place les victimes devant un dilemme : souffrir en silence ou dénoncer un agresseur qu’elles aiment et risquer de perturber la vie des autres personnes qui dépendent de lui. Les victimes peuvent aussi garder le silence à cause des pressions de la famille de leur agresseur.
Des victimes et des personnes survivantes nous ont également parlé de la peur des représailles que pourrait leur faire subir leur agresseur si jamais elles parlent à la police. Des victimes ont même affirmé que la police ou d’autres services ne les ont pas crues ou les ont éconduites. Beaucoup se sont fait répondre qu’on ne pouvait rien pour elles étant donné que les actes dénoncés ne sont pas considérés comme de la violence ou une agression, ou ne sont pas définis comme tels en droit pénal. Certaines victimes redoutent de s’adresser aux tribunaux et d’avoir à témoigner contre leur agresseur parce qu’elles se retrouveraient alors encore plus vulnérables. Quand l’agresseur occupe un poste de pouvoir ou est un membre apprécié de la communauté (un policier ou un militaire, par exemple), les victimes craignent de ne pas être crues par les autorités. Les mauvais traitements peuvent s’intensifier et mener à des représailles.
Même si elles réussissent à quitter leur agresseur, il arrive souvent que les victimes continuent de vivre très longtemps sous l’emprise de la peur, renforcée par leur incapacité à convaincre la police qu’elles sont toujours en danger.
En outre, étant donné que chaque province ou territoire a son propre programme d’indemnisation des victimes et que le contrôle coercitif n’est pas reconnu comme une infraction dans le Code criminel, beaucoup de personnes survivantes ne reçoivent aucune indemnité ou quelque forme que ce soit d’aide financière. Qui plus est, l’accès à une indemnisation est passablement compliqué par l’obligation de signaler un crime à la police dans la plupart des provinces qui ont un programme d’indemnisation (la Colombie‑Britannique et le Québec exigent uniquement une collaboration avec la police).
Position
À titre d’ombudsman, je suis à la recherche d’équité pour les victimes et les personnes survivantes d’actes criminels. Je crois que nos systèmes de droit et de justice doivent être plus attentifs à leurs besoins. Les victimes et les personnes survivantes, de même que les personnes qui travaillent en première ligne pour les soutenir nous ont parlé de la réponse inadéquate du droit pénal face à la violence entre partenaires intimes. Les comportements qui sont les manifestations les plus fréquentes de ce type de violence (schémas répétitifs et chroniques de violence psychologique, affective ou financière) n’étant pas considérés ou définis comme des comportements criminels, les forces policières ne peuvent pas intervenir efficacement.
J’ai la ferme conviction que le Canada doit s’attaquer au problème par la voie juridique parce que la violence entre partenaires intimes, de manière générale, est un crime qui reste la plupart du temps dans l’ombre : à peine le tiers des victimes demandent l’aide des forces policières[9]. La criminalisation des comportements coercitifs et contrôlants est essentielle pour faire comprendre que ce type de violence constitue une infraction grave – notamment parce qu’elle implique un abus de confiance – et améliorer la protection juridique offerte aux victimes de cette maltraitance chronique et répétée.
Une réforme du Code criminel s’avère également nécessaire pour donner une plus grande latitude à tous les organismes d’application de la loi qui, actuellement, peuvent difficilement déceler les comportements coercitifs et contrôlants dans un contexte de violence entre partenaires intimes et intervenir en conséquence. La création d’une infraction criminelle permettra aux policiers de reconnaître les actes de violence psychologique, affective et financière, et d’intervenir avant qu’ils empirent et mènent à la violence physique. De plus, cette réforme assurera aux personnes qui ont survécu à de tels actes criminels d’avoir accès aux programmes d’indemnisation des victimes de leur province ou de leur territoire.
Cette approche exigera d’outiller les forces policières, les procureurs de la Couronne et les juges, notamment en leur offrant des programmes d’éducation et de formation continues, ainsi que des guides d’orientation pour qu’ils puissent améliorer leur réponse à cette forme répandue de violence.
Recommandations
- Création d’un groupe d’experts qui sera chargé d’établir les bases en vue de la réforme du Code criminel
Je recommande de charger un groupe de travail ou un comité formé de représentants de toutes les composantes du système de justice pénale (policiers, procureurs, avocats de la défense), et notamment d’experts en matière de comportements coercitifs et contrôlants et de violence entre partenaires intimes, ainsi que de représentants de services d’aide aux victimes d’établir les bases des modifications à apporter avant l’adoption du projet de loi.
Je recommande que le comité chargé d’examiner le projet de loi utilise l’analyse comparative entre les sexes plus et consulte des experts de tous horizons et, pour assurer la prise en considération de points de vue diversifiés sur le projet de loi, entende les témoignages de victimes et de personnes survivantes, de membres de communautés autochtones, de personnes noires, de personnes de couleur et de personnes handicapées, ainsi que de membres de la communauté 2ELGBTQQIA.
- Critère juridique du contrôle coercitif
Je recommande que la description de contrôle coercitif retenue par le Home Office du Royaume‑Uni serve de point de départ à l’établissement d’un critère juridique. Le cadre juridique du Royaume‑Uni offre une mise en contexte de l’infraction et une description exhaustive d’un comportement marqué par un contrôle coercitif. Évidemment, la définition devra refléter la manière dont la question est cernée au Canada.
- Création d’un groupe de travail fédéral‑provincial‑territorial chargé d’examiner les lois et les politiques en matière de violence entre partenaires intimes afin d’assurer la plus grande cohérence possible à l’échelle nationale
Je recommande la création d’un groupe de travail fédéral‑provincial‑territorial afin de soutenir la collaboration entre les ministres responsables de la justice et de la sécurité publique dans tous les ordres de gouvernement. La création d’une nouvelle infraction liée à la violence entre partenaires intimes aura des répercussions sur les services de police et le système de justice dans toutes les administrations du pays. L’application du Code criminel du Canada devra être uniforme et la réponse à la violence entre partenaires intimes devra être axée sur le schéma de la violence plutôt que sur une infraction unique commise lors d’un incident en particulier.
- Obligation pour les policiers, les procureurs de la Couronne, les juges et d’autres membres du personnel du système de justice pénale de suivre des formations avant et après la mise en œuvre afin de favoriser une bonne compréhension du contrôle coercitif et la cohérence des interventions tenant compte des traumatismes et centrées sur la victime
Pour assurer une mise en œuvre efficace de toute nouvelle loi, je recommande d’offrir au préalable des formations adéquates à tous les intervenants du système de justice. Après la mise en œuvre, les policiers, les procureurs de la Couronne, les juges et le personnel du système de justice pénale devront également suivre des ateliers de formation et de perfectionnement continus qui les aideront à comprendre exactement ce que sont les comportements coercitifs et contrôlants et à cesser de traiter la violence entre partenaires intimes selon une approche fondée sur un seul incident. Il est impératif que les policiers, les procureurs de la Couronne et tous les autres intervenants du système de justice pénale aient une conception commune du caractère criminel des actes répétés de violence affective, psychologique et économique. Les femmes hésitent à dénoncer leurs agresseurs parce que les autorités ont tendance à minimiser leurs expériences ou à ne pas les croire. Une définition claire du contrôle coercitif en contexte de violence entre partenaires intimes est nécessaire pour changer la réponse du Canada et faire en sorte qu’elle tienne compte des traumatismes et qu’elle soit centrée sur la victime. Nous pouvons redonner confiance aux personnes survivantes afin qu’elles demandent du soutien, sauver des vies et nous assurer que les agresseurs répondent de leurs actes.
- Suivi de la mise en œuvre et de l’application du projet de loi
Si une mesure législative portant sur le contrôle coercitif est adoptée, il sera impératif de recueillir des données sur sa mise en œuvre et son application, d’en rendre compte et de faire un suivi. Les données provenant d’autres pays qui ont mis en œuvre ce genre de mesure législative révèlent des lacunes et des effets négatifs imprévus, de même que les modifications supplémentaires qui sont requises pour assurer l’efficacité de la mesure[10]. Tout doit être mis en œuvre pour éviter que les victimes qui tentent de signaler des actes de contrôle coercitif subissent de nouveaux préjudices ou effets négatifs (par exemple, des victimes ont fini par être accusées elles‑mêmes à cause des politiques de mises en accusation obligatoires dans les cas de violence familiale).
- Lancement d’une campagne de sensibilisation
Si le projet de loi est adopté, il faudra mettre sur pied une campagne nationale pour sensibiliser la population à l’existence d’une pandémie parallèle et aux phénomènes de la violence entre partenaires intimes et du contrôle coercitif, ainsi qu’aux obligations qui incombent à tous les intervenants du système de justice pénale. La campagne devra également informer les Canadiens et les Canadiennes des services et des programmes de soutien offerts aux victimes et aux personnes survivantes de ce type de violence, en faire la promotion et en faciliter l’accès.
- Financement durable des services communautaires
Les organismes qui offrent du soutien aux personnes survivantes de la violence doivent pouvoir compter sur une aide stable et prévisible plutôt que sur le financement de projet venant des subventions et des contributions aléatoires et irrégulières. Je recommande que le gouvernement fédéral verse une aide financière durable aux organismes de services communautaires qui s’occupent des femmes victimes de violence et des victimes de violence entre partenaires intimes, qui font un travail essentiel pour assurer l’efficacité des moyens juridiques déployés contre les dommages sociaux de la violence à l’égard des femmes.
Éléments à considérer
Certains éléments devront être pris en considération afin de donner davantage de force au projet de loi et de faire en sorte que les victimes reçoivent le soutien dont elles ont besoin.
Établissement d’un cadre juridique rigoureux sur lequel fonder la Stratégie contre la violence fondée sur le sexe du Canada
Le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres a adopté la Stratégie contre la violence fondée sur le sexe[11], qui offre du financement aux programmes éducatifs et sociaux axés sur l’éradication de cette violence et aux programmes de soutien offerts aux victimes. Cependant, faute d’un cadre juridique rigoureux pour l’appuyer, il existe un risque réel que la Stratégie n’atteigne pas ses objectifs.
Prise de conscience mondiale des dangers du contrôle coercitif
Le Canada pourrait tirer profit des progrès accomplis dans certains pays qui ont des vues similaires aux siennes. Par exemple, l’Angleterre et le pays de Galles considèrent que le contrôle coercitif est illégal depuis 2015. L’Écosse a adopté des lois sur la violence familiale en 2019 qui sont axées sur le contrôle coercitif et qui prévoient notamment du financement pour la formation des policiers et des juges. De plus, en septembre 2020, la Californie a adopté une loi suivant laquelle les tribunaux de la famille peuvent considérer les comportements de contrôle coercitif comme des preuves de violence familiale. Le même mois, Hawaï est devenu le premier État à adopter une loi interdisant le contrôle coercitif. Les États de New York et du Connecticut lui ont emboîté le pas depuis[12].
Transformation de l’approche du système de justice pénale à l’égard des victimes
De manière générale, les victimes ont une assez piètre opinion de la manière dont le système de justice pénale les traite, en dépit de l’adoption en 2015 de la Charte canadienne des droits des victimes. Les victimes se plaignent entre autres de la tendance du personnel du système de justice pénale à leur faire porter le blâme. Cette attitude est indicatrice d’une compréhension limitée à la fois de la dynamique du crime et de ses responsabilités à l’égard des victimes, qui sont en fait des citoyens.
Il est aussi reproché au personnel du système de justice pénale de manquer de rigueur pour ce qui est d’informer les victimes des droits que leur garantit la Charte canadienne des droits des victimes et de s’assurer du respect de ces droits.
Si une mesure législative érigeant le contrôle coercitif en infraction criminelle est adoptée, il faudra adapter le programme de formation du personnel du système de justice pénale afin de s’assurer qu’il pourra déceler cette infraction et intervenir de manière appropriée.
Adoption d’une approche axée sur la santé publique
La violence entre partenaires intimes – et notamment le contrôle coercitif – constitue un problème psychosocial complexe qui doit être envisagé selon une approche de santé publique qui conjugue l’application de mesures législatives, la formation et les mesures de soutien social et sanitaire pour prévenir cette violence en amont. Comme ces domaines sont de compétence provinciale et territoriale, une approche fédérale‑provinciale‑territoriale sera essentielle pour garantir à tous les citoyens le même accès aux services et aux mesures de protection prévus dans les lois.
L’une des pièces maîtresses de cette approche sera la mise sur pied d’une campagne nationale d’information sur les relations saines et les comportements acceptables qui s’adressera à l’ensemble de la population, et en particulier aux jeunes.
Utilisation d’une formulation choisie avec soin
Il sera nécessaire de définir et de décrire ce que sont les comportements de contrôle coercitif. En 2015, l’Angleterre et le pays de Galles ont été les premiers à ériger le contrôle coercitif en infraction criminelle à l’article 76 de la Serious Crime Act 2015. Selon cette disposition, l’infraction de contrôle coercitif peut s’appliquer autant aux relations entre partenaires intimes qu’aux relations familiales. Dans son cadre juridique, le Home Office dresse une liste de 17 comportements qui peuvent être considérés comme coercitifs et contrôlants :
- isoler une personne de ses amis et de sa famille;
- l’empêcher de combler ses besoins fondamentaux;
- surveiller la manière dont elle passe son temps;
- la surveiller au moyen d’outils de communication en ligne ou d’un logiciel espion;
- avoir la mainmise sur des aspects de sa vie quotidienne comme ses allées et venues, ses fréquentations, ses vêtements, ses moments de sommeil;
- l’empêcher d’avoir accès à un moyen de transport ou de travailler;
- l’empêcher d’avoir accès à des services de soutien d’un spécialiste ou à des services médicaux;
- la rabaisser constamment, par exemple en lui disant qu’elle ne vaut rien;
- lui imposer des règles et des activités humiliantes, dévalorisantes ou déshumanisantes;
- la forcer à prendre part à des activités criminelles comme le vol à l’étalage, la négligence ou la violence à l’égard d’enfants pour qu’elle se sente coupable et la décourager de parler aux autorités;
- contrôler ses finances, y compris en lui laissant très peu d’argent de poche;
- la menacer de la tuer ou de la blesser;
- menacer un enfant;
- la menacer de révéler ou de diffuser de l’information privée (par exemple, de révéler son orientation sexuelle);
- détruire des biens ménagers ou faire d’autres dommages criminels;
- l’agresser physiquement;
- l’agresser sexuellement.
Conclusion
Les systèmes de droit et de justice canadiens doivent mieux tenir compte des réalités vécues par les victimes et les personnes survivantes de la violence entre partenaires intimes. Cette violence ne se manifeste pas tant par des actes patents d’agression ou de violence physique, mais plutôt par des schémas répétitifs de terrorisme intime sous la forme de violence psychologique ou de contrôle coercitif. Ces actes qui se produisent dans l’intimité doivent être reconnus comme une forme de violence afin que la réponse du système de justice pénale soit adéquate.
Actuellement, le cadre législatif limite l’accès à la justice des victimes et des personnes survivantes. Il faut modifier le Code criminel pour améliorer la sécurité des femmes et des enfants, mais également pour rehausser la capacité des services de police à déceler les comportements coercitifs et à intervenir en conséquence quand ils reçoivent des signalements de violence entre partenaires intimes. Selon l’expérience directe que j’ai accumulée auprès des victimes et des personnes survivantes, il est clair selon moi que le temps est venu de combler cette lacune législative.
À propos du Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels
Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels aide les victimes à faire valoir leurs besoins, défend leurs intérêts et formule des recommandations au gouvernement fédéral concernant des questions touchant les victimes. Pour obtenir de plus amples renseignements, consultez le site https://www.victimesdabord.gc.ca/.
[1] Gill, C. et Aspinall, M. (2020). Comprendre le contrôle coercitif dans le contexte de la violence entre partenaires intimes au Canada : Comment traiter la question par l’entremise du système de justice pénale? https://www.victimesdabord.gc.ca/res/cor/ccc-ucc/index.html
[2] Statistique Canada. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2013001/article/11805/11805-3-fra.htm#n5
[3] Gill, C. et Aspinall, M. (2020). Comprendre le contrôle coercitif dans le contexte de la violence entre partenaires intimes au Canada : Comment traiter la question par l’entremise du système de justice pénale? https://www.victimesdabord.gc.ca/res/cor/ccc-ucc/index.html
[4] Roebuck, B., McGlinchey, D., Hastie, K., Taylor, M., Roebuck, M., Bhele, S., Hudson, E., Xavier, R. (2020). Survivants masculins de la violence conjugale au Canada. https://www.victimesdabord.gc.ca/res/cor/ipv-ipv/index.html
[5] Statistique Canada. https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/85-002-x/2019001/article/00018-fra.pdf
[6] Roebuck, B. et al. (2020). Survivants masculins de la violence conjugale au Canada. https://www.victimesdabord.gc.ca/res/cor/ipv-ipv/index.html
[7] Organisation mondiale de la santé. (2012). https://www.who.int/publications/i/item/9789241564625 [en anglais seulement]
[8] Burczycka, Marta. (2019). Section 2 : Violence entre partenaires intimes au Canada, affaires déclarées par la police, 2018. Centre canadien de la statistique juridique. Statistique Canada. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2019001/article/00018/02-fra.htm
[9] Condition féminine Canada. https://cfc-swc.gc.ca/violence/knowledge-connaissance/ipv-vpi-fr.html
[10] Walkate, S. et Fitz‑Gibbon, K. (2021). « Why Criminalize Coercive Control? The Complicity of the Criminal Law in Punishing Women Through Furthering the Power of the State ». https://www.crimejusticejournal.com/article/view/1829/1024 [en anglais seulement]
[11] Ministère des Femmes et de l’Égalité des genres. https://cfc-swc.gc.ca/violence/strategy-strategie/index-fr.html
[12] Ryzik, M. et Benner, K. (2021). « What Defines Domestic Abuse? Survivors Say it’s More than Assault ». https://www.nytimes.com/2021/01/22/us/cori-bush-fka-twigs-coercive-control.html [en anglais seulement]