Douleur chronique : l’expérience de victimes d’actes criminels au Canada

Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels

Juin 2020

Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels (BOFVAC) a pour mandat de faire connaître aux responsables des orientations politiques les besoins et les préoccupations des victimes et des survivants d’actes criminels et de cerner les problèmes systémiques qui ont une incidence négative sur les victimes d’actes criminels afin qu’on prenne des mesures pour les régler.

Introduction

En 2018, le gouvernement du Canada a mis sur pied le Groupe de travail canadien sur la douleur (GTCD) et l’a investi d’un mandat de trois ans en vue d’arriver à une approche améliorée de prévention et de prise en charge de la douleur chronique. Le GTCD a produit son premier rapport[1] sur l’évaluation de la prise en charge de la douleur chronique en 2019, et il travaille actuellement à rédiger son deuxième rapport.

Nous savons de plus en plus de choses au sujet du rôle que joue la douleur chronique dans la vie de bien des gens, et il apparaît évident que ses effets coûtent très cher aux Canadiens et aux Canadiennes. Les deux statistiques suivantes, souvent citées, en témoignent :

  • au Canada, une personne sur cinq souffre de douleurs chroniques;
  • la douleur compte pour 10 % à 16 % des visites en salle d’urgence.

Le présent mémoire met en relief les liens importants entre la douleur chronique ressentie par certaines personnes et leur expérience de la violence, des mauvais traitements et des traumatismes. Les coprésidents du groupe de travail devraient chercher à intégrer des victimes, des organismes de protection des victimes et des chercheurs spécialisés en victimologie à leur groupe d’intervenants afin que leurs préoccupations et leurs opinions soient prises en compte dans les stratégies et les tactiques élaborées à l’égard de la prise en charge de la douleur chronique. Ce faisant, le GTCD pourra faire en sorte que les problèmes de douleurs chroniques des victimes et des survivants d’actes criminels soient pris en compte avec ceux des autres Canadiens et Canadiennes.

En effet, le premier rapport du groupe de travail recense un certain nombre de groupes plus à risque de souffrir de douleurs chroniques — comme les aînés, les femmes, les peuples autochtones, les anciens combattants et les personnes affectées par les iniquités sociales et la discrimination —, mais il n’est fait aucune mention d’un groupe également désavantagé, à savoir les victimes et les survivants d’actes criminels violents, y compris les victimes de conducteurs en état d’ébriété.

Nous croyons qu’il y a une intersectionnalité entre les groupes susmentionnés et les victimes d’actes criminels. À la lecture du premier rapport du GTCD, il est frappant de constater à quel point les mots utilisés par les patients souffrant de douleurs chroniques pour décrire leurs expériences et leurs sentiments sont pratiquement identiques à ceux employés par les victimes et les survivants d’actes criminels pour décrire les leurs. L’incrédulité, la stigmatisation, le manque de services, l’isolement et le manque de soutien sont autant de phénomènes courants dans la vie des victimes.

Les crimes violents font de nombreuses victimes souffrant de blessures invalidantes. Et l’invalidité s’avère parfois permanente. Quoi qu’il en soit, les victimes de violence souffrent de douleurs, parfois chroniques, en plus de subir des répercussions psychologiques et sociales. Il faut entendre leur voix et répondre à leurs besoins. Le manque de structures de prise en charge de la douleur chronique est un enjeu systémique ayant une incidence négative sur les victimes et les survivants d’actes criminels.

 

La violence, les mauvais traitements et les traumatismes peuvent causer des douleurs chroniques

La violence fondée sur le sexe : un exemple éloquent

On mentionne dans le premier rapport du GTCD que les femmes sont représentées de façon disproportionnée parmi les personnes souffrant de douleurs chroniques, mais les causes profondes de cette réalité ne sont pas abordées. Le fait que les femmes soient beaucoup plus susceptibles d’être victimes de violence fondée sur le sexe (VFS) et de subir des blessures en raison de celle‑ci pourrait expliquer, au moins en partie, cette surreprésentation.

La VFS prend de nombreuses formes : la violence conjugale, les agressions sexuelles, les crimes haineux commis contre des personnes de genre non conforme, y compris des voies de fait, et la prédation sexuelle d’enfants. De nombreux clients du BOFVAC sont des victimes d’une forme ou une autre de VFS.

La VFS est reconnue comme un problème croissant au Canada; d’ailleurs, le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres élabore actuellement une stratégie nationale sur le sujet[2]. Voici quelques statistiques, recueillies par le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres, qui brossent un portrait sommaire de la VFS au Canada :

« Certains groupes de population sont plus susceptibles d’être victimes de violence à cause d’obstacles et de difficultés qui leur sont propres, par exemple :

  • lorsque tous les autres facteurs de risque sont pris en considération, les femmes sont 20 % plus à risque que les hommes d’être victimes de violence[3];
  • près de la moitié (47 %) de toutes les agressions sexuelles ont été commises contre des femmes âgées de 15 à 24 ans[4];
  • la proportion de femmes autochtones touchées par la violence conjugale est trois fois celle des autres Canadiennes (10 %, comparativement à 3 %)[5]. L’identité autochtone est un facteur de risque majeur de violence chez les femmes, même lorsque tous les autres facteurs de risque sont pris en considération[6];
  • les femmes ayant une incapacité sont presque deux fois plus susceptibles d’avoir été victimes d’agression sexuelle au cours des 12 derniers mois, comparativement aux femmes sans incapacité[7];
  • les femmes lesbiennes et les femmes bisexuelles sont 3,5 fois plus susceptibles de déclarer avoir été victimes de violence conjugale que les femmes hétérosexuelles[8];
  • parmi les personnes âgées victimes de violence familiale, 6 sur 10 (58 %) sont des femmes, soit un taux de 19 % supérieur à celui observé chez les hommes[9];
  • les femmes qui vivent dans les territoires sont victimes de violence dans une proportion huit fois plus élevée que celles vivant dans les provinces. Lorsque les autres facteurs sont pris en considération, les femmes vivant dans les territoires présentent un risque d’être victimes de violence 45 % plus élevé que celui des hommes[10]. Les collectivités éloignées et isolées sont confrontées à des défis particuliers quant à l’accessibilité et la disponibilité des services de soutien[11]. »

Les hommes et les garçons peuvent également être victimes de violence fondée sur le sexe dans un contexte de non‑conformité de genre, de violence familiale ou de prédation sexuelle d’enfants.

Violence conjugale

La douleur chronique des femmes violentées découle en partie d’une complexe réaction biopsychosociale aux traumatismes physiques et psychosociaux liés aux mauvais traitements subis durant l’enfance ou à l’âge adulte. On entend par « traumatisme » le stress extrême associé à des événements comme les agressions physiques et sexuelles.

La douleur chronique pourrait découler de changements neuropathiques associés à des blessures causées par la violence ainsi que de changements dans les systèmes endocrinien et immunitaire associés aux réactions psychologiques au traumatisme, comme le trouble de stress post‑traumatique (TSPT). Il a été observé que le TSPT sert de médiateur dans le lien entre le traumatisme et les résultats en matière de santé physique. Dans une récente étude de la recherche touchant la fonction immunitaire des personnes atteintes d’un TSPT, on a observé une réaction inflammatoire excessive induite par le système immunitaire comparable à celle qui est associée à la douleur chronique. Le niveau d’intensité, de détresse et d’incapacité est plus élevé chez les personnes souffrant à la fois de douleurs chroniques et d’un TSPT[12]

Certaines études ont fait état de données probantes appuyant l’hypothèse selon laquelle la violence psychologique pourrait causer une douleur physique chronique[13]. La violence conjugale, aussi connue sous le nom de violence au foyer et de maltraitance, existe dans toutes les sociétés du monde. L’Organisation mondiale de la Santé a recensé les blessures physiques pouvant découler de la violence conjugale : ecchymoses et marques de coups; lacérations et éraflures; blessures abdominales ou thoraciques; fractures et dents ou os cassés; dommages à la vue ou à l’ouïe; traumatismes crâniens; marques de tentative de strangulation; et blessures au dos et au cou[14]. Mais il n’y a pas que les blessures. En effet, certaines affections — peut-être beaucoup plus courantes — qui n’ont souvent aucune cause médicale identifiable ou qui sont difficiles à diagnostiquer peuvent survenir. Parmi ces « troubles fonctionnels » ou « affections liées au stress », comme on les appelle parfois, mentionnons le syndrome du côlon irritable et les symptômes gastro-intestinaux, la fibromyalgie, divers syndromes de douleur chronique et l’exacerbation de l’asthme[15]. Une étude relative aux effets sur la santé de la victimisation avec violence des femmes et des enfants, publiée en 2012 par le ministère de la Justice, fait le point sur cet aspect : « Les problèmes de santé physique associés à l’exposition à la [violence conjugale] comprennent la douleur chronique, l’invalidité, la fibromyalgie, les troubles gastro‑intestinaux, le syndrome du côlon irritable, les troubles du sommeil et les réductions généralisées du fonctionnement physique et de la qualité de vie liée à la santé. De récentes études indiquent que la [violence conjugale] peut être associée aux maladies cardiaques[16] ».

Selon le ministère de la Justice, les études démontrent de plus en plus l’existence de liens étroits entre la violence envers les femmes et les enfants et la présence de problèmes importants de santé physique et mentale ainsi que de comportements à risque pour la santé. Ces problèmes sont prévalents chez les enfants, les jeunes et les adultes victimes de violence pendant l’enfance ou à l’âge adulte. Les membres de certains groupes (p. ex. les femmes autochtones du Canada) courent un risque accru de subir une violence plus fréquente et plus grave et de connaître des problèmes de santé potentiellement plus importants. Bien que les blessures physiques et les cas de décès forment un sous-groupe important parmi les conséquences de la violence sur la santé, les problèmes de santé mentale à long terme constituent des conséquences plus prévalentes, ce qui contribue à la hausse des risques pour la santé et des risques de devenir un délinquant violent ou de redevenir une victime plus tard dans la vie. De plus, de nouvelles études établissent des liens entre la victimisation par la violence et les maladies chroniques à long terme[17].

Femmes victimes d’agression sexuelle

La violence sexuelle est un enjeu de santé publique urgent qui est courant et qui a des effets à long terme sur la santé. Les femmes, en particulier les jeunes femmes, sont de loin les victimes les plus fréquentes d’agression sexuelle. Comme nous l’avons mentionné plus haut, près de la moitié (47 %) de toutes les agressions sexuelles commises en 2014 ont été contre des femmes âgées de 15 à 24 ans. Bien que les femmes victimes d’agression sexuelle n’aient pas toutes subi des blessures physiques graves, cette prépondérance de femmes parmi les victimes de violence sexuelle explique peut-être en partie le nombre élevé de femmes souffrant de douleurs chroniques. Même sans blessure physique, le stress vécu par la victime de violence sexuelle peut avoir des répercussions énormes sur la santé affective et mentale.

Dans ses statistiques relatives aux crimes déclarés par la police, Statistique Canada (DUC, 2014) distingue trois catégories d’agression sexuelle contre des adultes. La Déclaration uniforme de la criminalité (DUC) pour 2014 faisait état de 105 agressions sexuelles de niveau III, de 319 agressions de niveau II et de 20 735 agressions de niveau I. Elle signalait également 4 452 infractions de nature sexuelle contre des enfants[18].

Par comparaison, l’Enquête sociale générale (ESG) de 2014 menée par Statistique Canada indique que 633 000 personnes âgées de plus de 15 ans au pays ont été victimes d’agression sexuelle[19].

Par conséquent, l’ESG montre que l’agression sexuelle est le crime violent le moins signalé, selon une fréquence de 5 % à 10 %. Le diagramme ci‑dessous présente les résultats de quatre ESG menées à cinq ans d’intervalle de 1999 à 2014[20]. Les résultats de l’ESG de 2019 devraient être publiés vers la fin de 2020.

 

 

 

 

Le système de justice pénale peut infliger des préjudices supplémentaires aux personnes survivantes qui signalent un acte de violence sexuelle. Le préjudice peut être causé par l’intervention policière ainsi que par le processus d’instruction pénale. L’expérience du processus de justice pénale vécue par les victimes et les survivants est souvent négative et traumatisante, au point où le contact avec le système de justice pénale est souvent qualifié de « deuxième viol ».

Au moyen du seul échantillon nationalement représentatif de femmes constitué pour examiner les affections associées à toute expérience de viol au cours de sa vie, des chercheurs américains se sont penchés sur les blessures et les résultats en matière de santé (p. ex. peur, blessures) découlant de toute violence infligée par un violeur. Environ deux victimes de viol sur cinq (39,1 %) ont déclaré des blessures (p. ex. ecchymoses, déchirures vaginales), et 12,3 % ont affirmé avoir contracté une maladie transmise sexuellement lors de leur victimisation par viol. Environ 71,3 % des victimes de viol (à peu près 16,4 millions de femmes) ont connu un impact d’une forme ou d’une autre en raison de la violence infligée par un violeur. Chez les femmes, aux États‑Unis, la probabilité rajustée d’asthme, de syndrome du côlon irritable, de maux de tête fréquents, de douleurs chroniques, de troubles du sommeil, de limitation d’activité, de mauvaise santé physique ou mentale et d’utilisation d’équipement spécial (p. ex. fauteuil roulant) était considérablement plus élevée chez les femmes ayant été victimes de viol au cours de leur vie que chez les autres femmes[21]. Nous devrions déployer des efforts pour recueillir des données sur les blessures et les résultats en matière de santé chez les Canadiennes victimes d’agression sexuelle.

 

Consommation de médicaments chez les survivantes de la violence conjugale

Un volet crucial de la recherche porte sur les liens avec la consommation de médicaments par les victimes de violence pour soulager les douleurs chroniques. Des études ont été menées en vue d’explorer les schèmes de consommation de médicaments chez les femmes victimes de violence conjugale. Ces études montrent en quoi l’expérience de ces femmes est différente de celle qui est observée au sein de la population générale. Les personnes ayant des antécédents de traumatismes interpersonnels (y compris la violence conjugale, l’agression sexuelle et les expériences négatives durant l’enfance) sont touchées de façon disproportionnée par l’épidémie de surdoses d’opioïdes qui sévit actuellement[22].

Les liens complexes qui existent entre les problèmes de santé, l’emploi, les diagnostics et la consommation de médicaments mettent en relief la nécessité d’envisager les schèmes de traitement dans le contexte d’une vie marquée par la maltraitance, la survie économique et les impératifs parentaux. La médication doit être considérée comme une simple option dans un éventail d’interventions en matière de santé pouvant servir à venir en aide aux femmes violentées pour améliorer leur santé[23].

Une récente étude sur le lien entre l’agression sexuelle et le mauvais usage d’opioïdes a révélé que le lien était aggravé par l’exposition à d’autres types de traumatismes interpersonnels. La violence conjugale a été associée au mauvais usage d’opioïdes chez les hommes. Le fait d’avoir vécu des expériences négatives durant l’enfance a été associé au mauvais usage d’opioïdes chez les femmes. On a observé que l’interaction entre la violence conjugale et l’agression sexuelle accroît la probabilité de consommation d’opioïdes chez les femmes[24].

La recherche montre à quel point il est crucial de se pencher sur la coexistence de traumatismes interpersonnels et d’examiner les différences entre les sexes dans la pratique clinique et dans la recherche relative à la consommation et au mauvais usage d’opioïdes. Il importe d’adopter de telles approches afin qu’on puisse comprendre le lien entre les traumatismes interpersonnels et la consommation ou le mauvais usage d’opioïdes en abordant dans toute sa complexité la vie des personnes survivantes.

Expériences négatives durant l’enfance et douleur chronique

Dans son premier rapport, le GTCD aborde la question de la douleur chronique chez les enfants, mais néglige encore ici de se pencher sur les causes de cette douleur. Un facteur pouvant expliquer en partie la douleur chronique chez les enfants est l’exposition à des expériences négatives durant l’enfance (ENE).

On réunit sous l’appellation ENE la maltraitance physique, mentale ou sexuelle, la négligence affective ou physique, un environnement violent à la maison, la toxicomanie à la maison, l’exposition à la maladie mentale d’un parent, la séparation ou le divorce des parents et l’incarcération d’un parent[25].

La violence conjugale peut aussi mener à des traumatismes chez l’enfant et devenir une ENE. Même si l’enfant ne subit pas lui‑même d’agression physique ou sexuelle, le simple fait d’être témoin de la violence entre des adultes dans la famille peut lui causer des dommages importants et avoir des répercussions tout au long de sa vie.

Bien que les chercheurs soient réticents à déclarer qu’il existe un lien causal direct entre les ENE et une diversité de problèmes de santé qui surviennent à l’âge adulte, ils infèrent tout de même que la présence de six ENE ou plus est associée à un risque accru de présenter divers résultats négatifs en matière de santé, y compris des douleurs chroniques, durant l’enfance et à l’âge adulte[26]. Les chercheurs font également état d’un lien entre la douleur chronique et la détresse psychologique chez les enfants et les adultes.

Victimes de conducteurs en état d’ébriété et douleur chronique

Malgré la chute des incidents de conduite avec facultés affaiblies déclarés par la police au cours des 30 dernières années[27], le ministère de la Justice affirme que « [la] conduite avec facultés affaiblies constitue la principale cause criminelle de décès et de blessures au Canada[28] ». Les victimes peuvent être à pied ou à vélo ou se trouver dans un autre véhicule routier et subir des blessures mineures ou graves au point de menacer la vie. Nous savons, grâce au travail d’organismes comme MADD Canada, que les personnes qui survivent à des accidents de la route causés par des conducteurs en état d’ébriété présentent souvent des blessures graves, comme des brûlures, des lésions cérébrales, des lésions de la moelle épinière et des handicaps physiques. De nombreux survivants doivent vivre avec des douleurs chroniques en raison de ces infractions criminelles violentes.

Les personnes impliquées dans des accidents de la route causés par la conduite avec facultés affaiblies subissent souvent des ecchymoses, des fractures et des traumatismes crâniens. Celles qui subissent des brûlures portent des cicatrices que tout le monde peut voir. Les brûlures peuvent avoir des répercussions physiques et psychologiques dévastatrices. Heureusement, les progrès de la médecine ont amélioré de façon importante les taux de survie et de mortalité. Ces progrès comprennent des actes médicaux douloureux qui doivent parfois être répétés à vie[29]. Les survivants ayant subi des lésions de la moelle épinière font face à des changements permanents qui mènent parfois à la paralysie ou à la perte de sensation en dessous du site de la lésion. Les lésions de la moelle épinière peuvent également avoir des répercussions dévastatrices sur les plans physique et psychologique[30].

Nombre de victimes et de survivants d’accidents de la route causés par la conduite avec facultés affaiblies subissent également des lésions cérébrales qui passent inaperçues et qui ne font pas l’objet d’un diagnostic. De fait, les accidents de la route causés par la conduite avec facultés affaiblies sont la première cause de traumatismes crâniens. Les survivants ne vont pas toujours tomber dans le coma ou subir des fractures du crâne, des lacérations et d’autres fractures, mais les conséquences de la lésion cérébrale pourraient commencer à se faire sentir plus tard et bouleverser la vie de la personne survivante, et ni cette dernière ni sa famille n’établiront le lien avec l’accident. Même une lésion cérébrale qualifiée de mineure peut avoir un impact important sur la famille, les relations personnelles, l’emploi et le bien‑être d’ensemble de la personne survivante[31].

En 2018, les services de police ont déclaré presque 70 400 incidents de conduite avec facultés affaiblies, avec un taux de 190 incidents par 100 000 habitants. En 2018, l’alcool continuait d’être impliqué dans presque toutes (93 %) les affaires de conduite avec facultés affaiblies déclarées par la police, tandis que des drogues étaient en cause dans une faible proportion (6 %) de ces affaires. Le taux pour l’ensemble des infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue a augmenté de 25 % par rapport à 2017. On a dénombré 4 423 infractions de ce genre en 2018, soit 929 de plus que l’année précédente[32].

Violence par armes à feu et douleur chronique

Chaque année, un certain nombre de Canadiens et de Canadiennes survivent à une blessure par balle. Dans le cadre de ses travaux de recherche, Wendy Cukier a constaté que les décès et les blessures par balles représentent un grave problème de santé publique au Canada : chaque année, plus de 1 200 personnes perdent la vie, et plus de 1 000 autres se font hospitaliser[33]. En 2017, la violence par armes à feu au pays a atteint le niveau le plus élevé des 25 dernières années : 266 personnes ont été tuées par balle, et plus de 7 660 incidents criminels violents impliquant une arme à feu ont été enregistrés[34].

En 2019, à Toronto seulement, on a fait feu sur plus de 760 personnes[35]. Les conséquences de la violence par armes à feu sont graves, mais pas toujours mortelles, et les survivants doivent souvent subir de multiples interventions chirurgicales et voient leur vie changée à jamais. Nous savons que les survivants de la violence par armes à feu en portent les blessures — émotives et physiques — pour le reste de leurs jours.

L’École de santé publique de l’Université de Boston a pris part à une étude sur les blessures par balles menée pendant plusieurs décennies[36]. Elle a conclu que la gravité de telles blessures s’est accrue de façon importante au cours des dernières années, phénomène en corrélation avec la létalité croissante des armes modernes. [Traduction] « Les personnes qui survivent doivent tout de même composer avec les répercussions d’une balle qui a traversé le corps et blessé l’intestin, le foie ou la rate, ou de nombreux vaisseaux sanguins, et les dommages causés sont énormes », a déclaré Sandro Galea, coauteur de l’étude et doyen de l’École de santé publique de l’Université de Boston.

M. Galea a déclaré que, selon les données, 30 % des victimes succombent à leurs blessures, environ 30 % sont traitées en salle d’urgence et retournent chez elles, et à peu près 40 % subissent des traitements compliqués et une hospitalisation prolongée. [Traduction] « La blessure par balles est un événement extrêmement traumatisant, a‑t‑il ajouté. Nous savons que les gens qui traversent un événement traumatisant sont très susceptibles de souffrir par la suite de maladies mentales, y compris du trouble de stress post‑traumatique (TSPT). »

La Robert Woods Johnson Foundation a mené un modeste projet de recherche sur la douleur chronique chez les personnes s’étant rétablies d’une blessure par balle. Les chercheurs se sont entretenus avec 40 victimes blessées par balle et ont découvert qu’un peu plus de la moitié d’entre elles avaient encore, pour diverses raisons médicales, une balle dans le corps. Les chercheurs ont observé que les personnes ayant toujours la balle dans le corps doivent vivre avec des douleurs chroniques ou invalidantes et ressentent souvent de l’angoisse et du stress. Cependant, l’étude ne révèle pas si des victimes ont aussi souffert d’un trouble de stress post‑traumatique après leur victimisation[37].

Les coûts en matière de santé de la victimisation violente

En 2016, le ministère de la Justice a publié une étude, reposant sur les données de l’ESG et de la version révisée du Programme de déclaration uniforme de la criminalité (Programme DUC2) de 2009, pour brosser un portrait estimatif des coûts médicaux et autres associés à la victimisation violente. « Le présent rapport permet d’estimer le coût total de cinq types de crimes violents (voies de fait, harcèlement criminel, homicide, vol qualifié, agression sexuelle et autres infractions d’ordre sexuel) commis au Canada en 2009 contre des adultes (18 ans et plus) par une personne autre que le conjoint[38]. » Par conséquent, ces chiffres ne prennent pas en compte les coûts médicaux associés aux victimes de violence conjugale ou de conducteurs en état d’ébriété.

Voici, pour chaque catégorie d’acte criminel, le nombre estimé d’incidents (ou de victimes) au Canada en 2009, selon les données de l’ESG (données fournies par les victimes) :

Crime

Femmes

Hommes

Total

Voies de fait

541 202

877 592

1 418 794

Harcèlement criminel

493 296

174 792

668 088

Vol qualifié

62 575

80 846

143 421

Infractions sexuelles

382 066

179 741

561 807

 

Voici le nombre d’incidents survenus au Canada en 2009 selon les données du Programme DUC2 (données fournies par la police) :

Crime

Femmes

Hommes

Total

Voies de fait

67 083

92 944 (58 %)

160 027

Harcèlement criminel

37 001

32 741

69 742

Homicide

83

370 (82 %)

453

Vol qualifié

6 723

13 344

20 067

Infractions sexuelles

8 054 (92 %)

723

8 777

 

Voici les estimations des coûts médicaux :

Crime

Coûts totaux

Voies de fait

104 721 940,00 $

Harcèlement criminel

  72 881 451,00 $

Homicide

    3 806 629,00 $

Vol qualifié

  30 607 516,00 $

Infractions sexuelles

113 121 308,00 $

Total

325 138 844,00 $

 

Les auteurs du rapport soulignent que les coûts médicaux sont probablement supérieurs aux résultats obtenus, vu le manque de données. D’ailleurs, il n’y a aucune façon de déterminer le nombre de ces victimes souffrant de douleurs chroniques ni la proportion des coûts associés à celles‑ci. Néanmoins, vu l’importance du nombre de victimes de crimes violents et des coûts médicaux connexes, il y a lieu d’inclure ce facteur dans l’analyse.

Thèmes explorés par le Groupe de travail canadien sur la douleur

Le lien entre la victimisation violente et la douleur chronique ayant été établi, nous pouvons maintenant décrire la façon d’aborder la douleur chronique des victimes dans le contexte des thèmes du GTCD, à savoir : recherche sur la douleur et infrastructure connexe; accès rapide à des soins appropriés de gestion de la douleur; sensibilisation, éducation et formation spécialisée; surveillance de la santé de la population et amélioration de la qualité du système de santé.

Recherche sur la douleur et infrastructure connexe

Bien que des données soient recueillies chaque année dans le cadre du Programme DUC, nous savons que celles‑ci ne correspondent qu’à une fraction des données touchant la victimisation violente, puisque ces crimes ne sont pas signalés dans une proportion pouvant aller jusqu’à 70 %. L’ESG, menée seulement tous les cinq ans, est pratiquement le seul outil au Canada permettant de mesurer la victimisation violente. Par contre, ces instruments ne procurent ni l’un ni l’autre des données concernant la gravité des blessures subies par les victimes et leurs besoins en matière de soins à court et à long terme.

On offre des services de soins de santé et des services aux victimes à l’échelon provincial ou territorial, et l’extraction de données comparables auprès de ces sources est difficile. Ces facteurs limitent notre accès à des connaissances au sujet de la victimisation violente au Canada, en général, et du nombre de victimes d’actes criminels souffrant de douleurs chroniques imputables aux blessures subies, en particulier.

Parallèlement, plusieurs provinces réduisent les services et le financement destinés aux victimes. Il est crucial d’enrichir et d’améliorer le savoir relatif à la victimisation violente et à ses conséquences afin que les décideurs comprennent la nécessité d’accroître les services et le financement pour les victimes plutôt que de le réduire.

Dans l’avenir, l’adoption d’une approche unique et commune de collecte et de communication des données sur la victimisation violente et ses conséquences pour les victimes pourrait s’avérer très utile aux chercheurs comme aux décideurs. Il importe également que la recherche sur la douleur s’intéresse au nombre de victimes de violence qui souffrent de douleurs chroniques ou qui deviennent handicapées, car il y a peu d’études sur le sujet à l’heure actuelle.

Promouvoir l’acquisition de connaissances au sujet du lien entre la victimisation violente et la douleur chronique

Aux États‑Unis, la violence est considérée comme un enjeu de santé publique depuis 1979. Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, qui forment la principale agence de protection de la santé publique aux États‑Unis, mènent chaque année une enquête (National Intimate Partner and Sexual Violence Survey[39]) ayant pour but de faire le point sur l’évolution dans le temps de la violence conjugale, de la violence sexuelle et du harcèlement criminel. Bien que le but de cette enquête soit la prévention, les données recueillies procurent des indicateurs importants aux analystes, aux décideurs et aux administrateurs.

Pour l’instant, il n’y a pas d’instrument de recherche correspondant au Canada.

Données quantitatives

L’accès à des données précises est essentiel pour les professionnels des soins de santé et autres fournisseurs de services ainsi que pour les décideurs et les administrateurs. Le recours croissant à des systèmes électroniques pour la collecte et le stockage de données sur les patients apporte certaines possibilités aux intervenants :

  • pour les fournisseurs de soins de santé, la possibilité d’accéder instantanément aux renseignements sur les patients;
  • pour les chercheurs et les analystes des politiques, la possibilité d’analyser les données en vue d’obtenir un portrait fidèle de l’état de santé de la population canadienne et de déterminer si le système de soins de santé comble réellement ses besoins afin de formuler des recommandations et des politiques;
  • pour les administrateurs, la possibilité de déterminer si les ressources sont réparties de façon adéquate et appropriée.

Voici un exemple de situation où des données précises ont guidé la prise de décisions stratégiques : en 2019, une enquête menée en Alberta a révélé que 45 % des répondants avaient subi une forme ou une autre d’agression sexuelle au cours de leur vie. Comme on s’y attendrait de la part de victimes d’agressions sexuelles, peu d’entre elles ont signalé le crime aux autorités. La même année, 2 693 personnes ayant survécu à la violence sexuelle ont bénéficié des services d’un organisme d’aide aux victimes. Maintenant, la province de l’Alberta prend des mesures en vue de réduire le financement consenti à ces organismes : c’est le résultat d’une décision stratégique[40].

Il faut reconnaître que 45 % d’une population, quelle qu’elle soit, c’est une proportion statistiquement significative : il est fort probable qu’elle constitue un échantillon représentatif de l’ensemble des races, des religions, des orientations sexuelles et de genre, des fourchettes de revenus et des âges dans la population. L’idée qu’un groupe aussi diversifié puisse présenter comme trait courant la victimisation par agression sexuelle donne à réfléchir.

Accès rapide à des soins appropriés de gestion de la douleur

Le premier rapport du GTCD repose sur la reconnaissance du fait que, malgré toutes les études réalisées au cours des dernières années, la norme de soins applicable aux patients souffrant de douleurs chroniques ne s’est pas améliorée de façon appréciable. Cela tient peut‑être en partie au modèle de prestation de soins de santé standard.

En effet, le délai d’attente pour bénéficier de n’importe quel soin médical est long, partout au Canada. Certaines régions n’ont pratiquement pas de services, et les patients doivent parcourir de longues distances pour recevoir des services et des soins essentiels.

Dans son premier rapport, le GTCD décrit les cliniques multidisciplinaires et interdisciplinaires de traitement de la douleur comme les meilleurs endroits où se faire soigner, tout en soulignant que ces cliniques sont rares. Les rares cliniques de ce genre sont concentrées dans les grands centres urbains, ce qui les rend inaccessibles à une majorité de Canadiens et de Canadiennes.

Sensibilisation, éducation et formation spécialisée

Ces aspects sont particulièrement importants dans le contexte du traitement de patients victimes de crimes violents. Il faut que les professionnels des soins de santé prennent conscience du fait que les victimes d’actes criminels, au‑delà des blessures qu’elles pourraient avoir subies, ont des besoins particuliers.

Les victimes d’actes criminels peuvent être socialement désavantagées de diverses façons. Par exemple, il peut s’agir de personnes :

  • racialisées;
  • appartenant à une minorité linguistique (n’ayant peut‑être pas l’anglais ou le français pour langue maternelle);
  • présentant un handicap physique ou mental, ou les deux;
  • victimes de mauvais traitements à long terme;
  • en proie à une forte détresse émotive ou mentale en raison du désavantage qu’elles subissent (et affichant peut‑être de la peur ou de la méfiance).

Les besoins de ces patients peuvent être comblés de diverses façons.

Approche tenant compte des traumatismes

Tous les professionnels des soins de santé qui entrent en contact avec des victimes de crimes violents devraient connaître l’approche tenant compte des traumatismes.

Les approches tenant compte des traumatismes et de la violence sont des politiques et des pratiques qui reconnaissent les liens entre les traumatismes, la violence et leurs répercussions négatives sur la santé et les comportements. Ces approches sont favorables à la sécurité, au contrôle et à la résilience pour les personnes à la recherche de services liés à des expériences de violence ou qui ont des antécédents de telles expériences.

Les approches tenant compte des traumatismes et de la violence nécessitent des changements fondamentaux dans la façon dont les systèmes sont conçus, dont les organisations fonctionnent et dont les praticiens entrent en relation avec les personnes en appliquant les principes de base et les pratiques qui suivent :

  • comprendre les traumatismes et la violence ainsi que leurs répercussions sur la vie et le comportement des personnes;
  • créer des environnements psychologiquement et physiquement sûrs;
  • favoriser des possibilités de choix, de collaboration et d’établissement de rapports;
  • offrir une approche basée sur les forces et le renforcement des capacités pour appuyer l’adaptation et la résilience des clients.

Les fournisseurs de services et les organisations qui ne comprennent pas les répercussions complexes et durables des traumatismes et de la violence peuvent causer involontairement de nouveaux traumatismes. Les approches tenant compte des traumatismes et de la violence ont pour but de réduire au minimum le risque de préjudice aux personnes prises en charge, que les expériences de violence subies soient connues ou inconnues.

En intégrant les approches tenant compte des traumatismes et de la violence à tous les aspects des politiques et des pratiques, il est possible de prendre des précautions universelles qui permettent d’éviter les traumatismes et d’offrir un soutien bénéfique à toutes les personnes. Ces précautions servent aussi de plateforme commune pour intégrer les services à l’intérieur et à l’échelle de plusieurs systèmes et servent de base pour créer une réponse uniforme aux besoins des personnes ayant vécu de telles expériences[41].

Prestation de services sensibles à la culture

Vu la diversification croissante de la population du Canada, les travailleurs du domaine des soins de santé doivent posséder un certain savoir‑faire culturel. Les effectifs de professionnels des soins de santé devraient refléter les collectivités qu’ils servent, et ces professionnels doivent comprendre et respecter les diverses identités culturelles de la population qu’ils servent. Cela permettrait aussi d’améliorer l’accès aux services de personnes dont la langue première n’est ni le français ni l’anglais ou dont les pratiques culturelles diffèrent.

Surveillance de la santé de la population et amélioration de la qualité du système de santé

Comme nous l’avons souligné plus haut, il est crucial que les professionnels des soins de santé, les décideurs et les administrateurs puissent compter sur des statistiques fiables et exactes sur les indicateurs clés de la santé publique, y compris sur la victimisation. Ces statistiques peuvent servir à décrire l’état de la santé publique, à tirer des déductions sur les besoins actuels et sur la répartition des ressources et à formuler des prédictions quant aux besoins futurs et à la répartition des ressources. Lorsqu’on dirige les ressources là où les besoins sont les plus marqués, on améliore le service offert au public tout en évitant le gaspillage. Cela se traduit par des économies pour les gouvernements.

Les statistiques en matière de santé ne tiennent pas compte des visites de victimes d’actes criminels dans les salles d’urgence

L’étude précitée du ministère de la Justice sur les coûts en matière de santé liés à la victimisation démontre que les victimes d’actes criminels utilisent beaucoup les services de santé. De nombreux patients se rendent à l’urgence en raison d’un traumatisme, mais la cause de celui‑ci n’est pas consignée. Pour illustrer cela, prenons le rapport de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) de 2015 sur les statistiques relatives aux visites en salle d’urgence[42], où les principales raisons de la visite recensées sont les suivantes :

  • infection aiguë des voies respiratoires supérieures;
  • otite;
  • fièvre;
  • douleur abdominale ou pelvienne;
  • infection aiguë des voies respiratoires supérieures;
  • infection de la gorge;
  • douleur à la gorge ou à la poitrine;
  • dorsalgie (mal de dos);
  • troubles de l’appareil urinaire.

Les raisons varient d’un groupe d’âge à un autre.

Ces données sont trompeuses, car on ne mentionne pas les visites en salle d’urgence liées à des blessures. De plus, elles omettent manifestement les patients qui arrivent à l’urgence en ambulance, nombre desquels auront subi une forme ou une autre de blessure parfois imputable à un crime commis contre eux.

Quant au Système canadien hospitalier d’information et de recherche en prévention des traumatismes (SCHIRPT) de l’Agence de la santé publique du Canada, il n’assure pas lui non plus un suivi à l’égard des victimes d’actes criminels.

Vu l’absence de données sur les visites à l’urgence de victimes de crimes violents, ces personnes sont pratiquement invisibles.

Les statistiques relatives à la conduite avec facultés affaiblies sont inadéquates

Il ne semble pas y avoir une seule source de données fiables et uniformes sur les blessures imputables à la conduite avec facultés affaiblies. En effet, les variables mesurées par les sources de données diffèrent. Le seul aspect à l’égard duquel toutes les sources semblent d’accord est celui de la baisse de l’incidence de la conduite avec facultés affaiblies depuis 1986.

Dans son rapport de 2015 intitulé Le problème des accidents liés à l’alcool et à la drogue au Canada, le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé (CCATM) affirme ce qui suit : « La mesure dans laquelle l’alcool entre en ligne de compte dans les collisions qui provoquent des blessures graves n’est pas très bien documentée et, par conséquent, est mal comprise, principalement pour deux raisons. Premièrement, les conducteurs en cause dans ces collisions sont rarement soumis à des tests d’alcoolémie. Deuxièmement, les agents de police ne consignent pas toujours la présence d’alcool dans ces collisions[43]. » Pour déterminer le nombre de conducteurs en état d’ébriété, le CCATM a utilisé « une méthode substitutive ou indirecte de mesure du problème des collisions liées à l’alcool ayant provoqué des blessures graves. Un conducteur est considéré comme ayant été en cause dans une collision liée à l’alcool et ayant provoqué des blessures graves si l’accident dans lequel une personne a été grièvement blessée n’incluait qu’un seul véhicule et s’est produit la nuit, entre 21 h et 6 h (véhicule unique, de nuit – VUN), ou si, dans le cas d’un autre genre de collision qu’un VUN, la police a noté la présence d’alcool, autrement dit qu’au moins un des conducteurs en cause avait consommé de l’alcool. » Bien que le CCATM soutienne qu’il s’agit d’une méthode d’estimation fiable, on ne saurait affirmer que les données ainsi obtenues sont précises.

Voici quelques exemples de données publiées dans le rapport au sujet de la conduite avec facultés affaiblies pour l’année 2015 :

  • Transports Canada (TC) rend des comptes sur le nombre total de collisions routières, mais pas précisément sur les collisions découlant de la conduite avec facultés affaiblies[44]. Ainsi, TC a recensé 1 669 collisions mortelles, 116 735 collisions avec blessures, 1 858 victimes décédées, 10 280 victimes « grièvement blessées » et 161 902 victimes « blessées » au total.
  • Statistique Canada a fait état de 72 039 incidents de conduite avec facultés affaiblies, dont 122 ayant causé la mort et 596 ayant causé des blessures.
  • Selon le CCATM, 490 personnes impliquées dans une collision routière liée à l’alcool ont succombé à leurs blessures dans les 30 jours suivant l’accident. Ce chiffre engloberait les conducteurs en état d’ébriété.

Ces données sont déroutantes : il doit bien y avoir un lien entre ces données, mais personne ne l’a encore établi de façon rigoureuse. Faute d’une synthèse et d’une analyse, ce ne sont pas des données utiles permettant de guider la prise de décisions stratégiques.

Soins appropriés de gestion de la douleur

Dans son premier rapport, le GTCD souligne que chaque patient éprouve la douleur à sa façon et que le plan de gestion de la douleur doit être personnalisé. Ce constat s’applique également aux victimes d’actes criminels : certaines connaîtront une diversité de types et d’intensités de douleur physique au fil du temps, et il faudra adopter une approche différente pour chacune d’elles. Par exemple, certaines personnes pourraient avoir besoin de médicaments pour soulager la douleur à court terme, alors que d’autres pourraient en avoir besoin plus longtemps. Cependant, il importe de normaliser l’approche appliquée à tous les patients — sur le plan du contrôle de la qualité comme sur celui de la collecte de données — et de veiller à ce que cette approche commence par la détermination des antécédents médicaux et par un processus de triage.

Comme c’est le cas pour la douleur physique, les aspects psychologiques et émotionnels de la douleur varieront d’un patient à un autre. Il est probable que de nombreuses victimes de violence ressentent une détresse psychologique accrue associée à leur victimisation. Elles pourraient donc avoir besoin d’autres types de thérapies — comme l’acupuncture, la massothérapie, la physiothérapie et l’ergothérapie — en plus des soins de santé primaires.

Médicaments

Dans les mois qui ont mené à la dernière élection fédérale, à l’automne 2019, il a beaucoup été question de la création d’un régime d’assurance médicaments universel. Cet enjeu ne fait pas consensus, mais, dans le contexte de la prise en charge de patients souffrant de douleurs chroniques, surtout ceux qui ont été victimes d’actes de violence, plusieurs arguments convaincants militent en faveur d’un tel régime :

  • de nombreux patients souffrant de douleurs chroniques, voire tous, ont besoin d’un médicament pour soulager la douleur;
  • le coût des médicaments au Canada est supérieur à la moyenne;
  • de nombreux patients, surtout les victimes d’actes criminels, n’ont accès ni à l’assistance sociale ni à des assurances privées.

En outre, les médecins doivent bénéficier d’une formation approfondie et améliorée à l’égard de la douleur, des produits pharmaceutiques et des thérapies parallèles. Il faut également accroître la recherche sur les produits pharmaceutiques. Par exemple, on prescrit le cannabis pour soulager la douleur; cependant, aucune étude adéquate n’a encore été menée pour démontrer son efficacité, et « [...] les données cliniques actuelles à l’appui de l’utilisation du cannabis pour soulager la douleur sont limitées[45] ».

Pour être appropriés, les soins de gestion de la douleur doivent être abordables      

Les dépenses importantes engagées par les victimes d’actes criminels à l’égard de thérapies complémentaires qui ne sont visées ni par l’assistance sociale ni par les régimes de soins de santé provinciaux ou territoriaux, et pour lesquelles les patients n’ont peut‑être pas d’assurance privée, sont un enjeu connexe. Ces thérapies — comme l’acupuncture, la massothérapie, la physiothérapie et l’ergothérapie — peuvent jouer un rôle crucial dans le processus de guérison, mais échapper à la portée de bien des personnes. D’autres thérapies clés, comme les soins dentaires et les soins de la vue, sont très coûteuses, et de nombreuses victimes nous disent que la douleur qu’elles ressentent leur coûte très cher.

Les personnes victimisées lors d’un crime violent ne devraient pas avoir à assumer personnellement les coûts liés aux soins de santé ou aux thérapies dont elles ont besoin pour retrouver la santé.

 

Il vaut mieux prévenir que guérir

Le lien entre la santé et d’autres enjeux sociaux — comme la discrimination raciale, la pauvreté, les handicaps et, bien sûr, la victimisation — est manifeste. Si la recherche, la technologie et un accès accru à des soins médicaux holistiques améliorés contribueront au soulagement et peut‑être même à la guérison de la douleur chronique d’un grand nombre de patients, y compris les victimes et les survivants de la violence, il reste que la prévention sera toujours plus souhaitable. En tant que société, nous avons le devoir de faire tout notre possible pour protéger et soutenir nos citoyens les plus vulnérables.

Du point de vue du BOFVAC, ce sont les coûts humains associés aux crimes violents qui sont la principale préoccupation. Cependant, nous sommes pleinement conscients du fardeau économique énorme que les crimes violents imposent à la société : salles d’urgence et soins de santé de longue durée, services policiers, processus judiciaires, et incarcération et surveillance des délinquants. Ces coûts sont assumés par les citoyens respectueux des lois, ce qui semble injuste.

Dans l’après-COVID‑19, nos gouvernements chercheront des façons de réduire les coûts afin de compenser les dépenses engagées durant la pandémie. Il y a de nombreuses façons de réduire les soins de santé associés aux victimes d’actes criminels.

Voici quelques exemples :

  • Adopter une approche plus rigoureuse à l’égard de la prévention de toutes les formes de violence, en particulier la violence fondée sur le sexe, et du dépôt d’accusations concernant de tels actes.
  • Les personnes qui prodiguent des soins cliniques à des femmes souffrant de douleurs chroniques dans tous les secteurs de la santé devraient déterminer si la patiente a été victime de mauvais traitements durant son enfance ainsi que de violence conjugale. La recherche met en relief la pertinence d’une évaluation courante relative aux blessures découlant de mauvais traitements et à la gravité des symptômes de TSPT et de dépression lorsqu’on travaille avec des femmes qui font état de douleurs chroniques.
  • Travailler à l’élimination des traumatismes durant l’enfance, dans la mesure du possible, et s’efforcer d’atténuer leurs effets.
  • Intensifier les efforts de réduction des incidents de conduite avec facultés affaiblies en insistant sur les régions rurales, où ils sont plus fréquents.

À court terme, il serait peut‑être nécessaire d’accroître les dépenses liées aux services sociaux pour réaliser certains de ces objectifs. À long terme, cependant, la réduction de ces formes de traumatismes mènera aussi à une réduction des dépenses liées aux services sociaux lorsque la demande à l’égard de ces services baissera. On devrait aussi observer un déclin des coûts et des dépenses liés aux infractions criminelles.

 

 

 

[1] https://www.canada.ca/fr/sante-canada/organisation/a-propos-sante-canada/mobilisation-publique/organismes-consultatifs-externes/groupe-travail-douleur-chronique/rapport-2019.html.

[2] Ministère des Femmes et de l’Égalité des genres, https://cfc-swc.gc.ca/violence/strategy-strategie/index-fr.html.

[3] Samuel Perreault, La victimisation criminelle au Canada, 2014, Statistique Canada, 2015.

[4] Shana Conroy et Adam Cotter, Les agressions sexuelles autodéclarées au Canada, 2014, Statistique Canada, 2017.

[5] Jill Boyce, La victimisation chez les Autochtones au Canada, 2014, Statistique Canada, 2016.

[6] Samuel Perreault, op. cit.

[7] Adam Cotter, La victimisation avec violence chez les femmes ayant une incapacité, 2014, Statistique Canada, 2018.

[8] Marta Burczycka, « Section 1 : Tendances en matière de violence conjugale autodéclarée au Canada, 2014 », La violence familiale au Canada : un profil statistique, 2014, Statistique Canada, 2016.

[9] Shana Conroy, « Section 5 : Affaires de violence familiale envers les aînés déclarées par la police », La violence familiale au Canada : un profil statistique, 2016, Statistique Canada, 2018.

[10] Mary Allen et Samuel Perrault, « Les crimes déclarés par la police dans le Nord provincial et les territoires du Canada, 2013 », Juristat (mai 2015), Statistique Canada, nde catalogue 85‑002‑X.

[11] Samuel Perrault et Laura Simpson, « La victimisation criminelle dans les territoires, 2014 », Juristat (avril 2016), Statistique Canada, nde catalogue 85‑002‑X.

[12] J. Wuest et coll., « Pathways of Chronic Pain in Survivors of Intimate Partner Violence », Journal of Women’s Health, septembre 2010, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3120089/.

[13]Ibid.

[14] Organisation mondiale de la Santé : https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/77432/WHO_RHR_12.36_eng.pdf.

[15] Ibid.

[16] N. Wathen, La victimisation avec violence : répercussions sur la santé des femmes et des enfants, Division de la recherche et de la statistique, ministère de la Justice Canada, 2012, https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/vf-fv/rr12_12/rr12_12.pdf.

[17] Ibid.

[18] Statistique Canada, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2015001/article/14211/tbl/tbl05-fra.htm

[19] Statistique Canada, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2015001/article/14241/tbl/tbl01-fra.htm.

[20] Statistique Canada, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2015001/article/14241-fra.htm#a10.

[21] K. Basile et coll., « Chronic Diseases, Health Conditions, and Other Impacts Associated with Rape Victimization of U.S. Women », Journal of Interpersonal Violence, 23 janvier 2020.

[22] J.R. Williams, V. Cole, S. Girdler et M.G. Cromeens, « Exploring stress, cognitive, and affective mechanisms of the relationship between interpersonal trauma and opioid misuse », PLOS One, vol. 15, no 5 (2020), e0233185, DOI : 10.1371/journal.pone.0233185.

[23] J. Wuest, M. Merritt‑Gray, B. Lent, C. Varcoe, A.J. Connors et M. Ford‑Gilboe, « Patterns of medication use among women survivors of intimate partner violence », Revue canadienne de santé publique, vol. 98, no 6 (2007), p. 460‑464. DOI : 10.1007/BF03405439.

[24] J.R. Williams, S. Girdler, W. Williams et M.G. Cromeens, « The Effects of Co-Occurring Interpersonal Trauma and Gender on Opioid Use and Misuse » [article publié en ligne avant sa parution, le 13 février 2020], Journal of Interpersonal Violence, 2020, DOI : 10.1177/0886260519900309.

[25] S. Nelson et coll., « A conceptual framework for understanding the role of adverse childhood experiences in pediatric chronic pain », Clinical Journal of Pain, vol. 33, no 3 (mars 2017), p. 264‑270, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5143226/.

[26] J. Wuest et coll., ibid.; S.M. Nelson et coll., ibid.

[27] Statistique Canada, https://sencanada.ca/content/sen/committee/421/LCJC/Briefs/2018-LCJC_StatCan_f.pdf, diapositive 6.

[28] Ministère de la Justice Canada, https://www.justice.gc.ca/fra/jp-cj/rlcfa-sidl/.

[29] MADD Canada, Vivre avec des brûlures, https://madd.ca/pages/wp-content/uploads/2015/03/Vivre-avec-des-brulures.pdf.

[30] MADD Canada, Vivre avec une lésion de la moelle épinière, http://madd.ca/media/docs/Vivre-avec-une-lesion-de-la-moelle-epiniere.pdf.

[31] MADD Canada, Vivre avec un traumatisme crânien, https://madd.ca/pages/wp-content/uploads/2015/03/Vivre-avec-un-traumatisme-cr%C3%A2nien.pdf.

[32] Statistique Canada, https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/190722/dq190722a-fra.htm.

[33] W. Cukier, « Firearms Regulation: Canada in the International Context », Maladies chroniques au Canada, vol. 19; no 1 (1998), p. 25‑34.

[34] https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/89-28-0001/2018001/article/00004-fra.pdf?st=TK9nBac.

[35] NPR, https://www.npr.org/2020/01/03/793257323/in-canada-gun-violence-is-a-growing-problem-for-toronto.

[36] https://d279m997dpfwgl.cloudfront.net/wp/2019/07/Kalesan_A-multi-decade-decade-joinpoint-analysis-of-firearm-injury-severity_2018.pdf.

[37] http://nationalpainreport.com/living-with-pain-chronic-pain-and-gun-violence-8818230.html.

[38] Ministère de la Justice Canada, Estimation de l’incidence économique des crimes violents au Canada en 2009, https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr14_01/p3.html.

[39] Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, https://www.cdc.gov/violenceprevention/datasources/nisvs/index.html.

[40] D. Tomlinson, « Supports for sex abuse victims facing a threat; Programs could be watered down under Bill 16, Debra Tomlinson warns », Calgary Herald, 18 juin 2020, https://calgaryherald.com/opinion/columnists/opinion-albertans-cant-afford-to-lose-funding-for-specialized-support-of-victims-of-sexual-assault.

[41] Agence de la santé publique du Canada, https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/publications/securite-et-risque-pour-sante/approches-traumatismes-violence-politiques-pratiques.html.

[42] ICIS, https://secure.cihi.ca/free_products/NACRS_ED_QuickStats_Infosheet_2014-15_FRweb.pdf.

[43] CCATM, https://ccmta.ca/images/publications/pdf//PDF%20FRENCH/2015_ALcohol_and_Drug_Crash_Problem_report.FINAL._FR.pdf.

[44] Transport Canada, https://www.tc.gc.ca/media/documents/securiteroutiere/Canadian_Motor_Vehicle_Traffic_Collision_Statistics_2015_FR.pdf.

[45] GTCD, op. cit.