Lettre adressée à la ministre Maryam Monsef au sujet de la prévention de la victimisation des personnes vulnérables pendant la COVID-19

 

Le 29 mars 2020

Par courriel

 

À l’attention de l’honorable Maryam Monsef, ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et du Développement économique rural
À l’attention de l’honorable David Lametti, ministre de la Justice et procureur général du Canada

 

Madame la Ministre,
Monsieur le Ministre,

Alors que je reste à la maison cette fin de semaine et que je songe au fait que nous entrons dans notre troisième semaine d’éloignement sanitaire et de restrictions de voyage pour arrêter la propagation de la COVID-19 au Canada, je n’oublie pas les milliers de femmes et d’enfants qui ne sont pas en sécurité dans leur foyer. La pandémie signifie un niveau accru de pouvoir et de contrôle par les agresseurs sur leurs victimes. L’isolement est leur tactique et cette pandémie a pour effet de cacher encore davantage cet abus.

Les familles sont plus stressées que jamais en raison des conséquences économiques de cette pandémie. Les gens ne travaillent plus. Les enfants sont à la maison 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ce qui augmente le stress. Les personnes vulnérables savent-elles que les refuges pour femmes sont toujours ouverts? Savent-elles qu’elles peuvent encore demander de l’aide et un soutien ou partir, au besoin? Le premier ministre a annoncé un financement supplémentaire de 50 millions de dollars pour les refuges et les centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle, mais je me demande si cela suffit et si ce montant peut être fourni assez rapidement pour répondre aux besoins urgents sur le terrain. Les refuges ne disposaient pas de suffisamment de lits avant la pandémie. Les femmes et les enfants sont souvent refusés dans toutes les communautés. Je recommande que ce financement soit immédiatement accessible aux organismes de première ligne et aux ONG qui fournissent des services de soutien, afin qu’ils puissent utiliser les hôtels au besoin, pour les femmes et les enfants qui pourraient avoir besoin de fuir maintenant alors qu’il n’y a pas de lits disponibles dans les refuges.

Je pense également aux communautés nordiques et éloignées où échapper à la violence peut être dangereux, puisqu’une personne sur trois dans les territoires vit à plus de 100 km d’un refuge pour les personnes victimes de violence conjugale. Je recommande que des fonds supplémentaires soient consacrés à la création de refuges sûrs dans le Nord de façon urgente, d’un espace sûr désigné dans une maison ou d’un espace public doté en personnel lorsqu’une personne a besoin d’aide. Cette solution signifierait que de nombreuses victimes n’auraient pas à quitter leur collectivité non plus. En plus du financement pour des endroits sûrs désignés dans les collectivités rurales, éloignées et nordiques, je recommande d’établir d’urgence un service d’assistance national pour la violence entre partenaires intimes et la violence familiale, financé de façon permanente, qui offre des services de clavardage et de messagerie texte en direct, pour aider les Canadiens d’un océan à l’autre qui peuvent être victimes d’abus ou de violence.

Vous trouverez le message du 27 mars de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence contre les femmes, Dubravka Šimonović, à titre informatif. Je crois qu’il est urgent d’accroître les investissements fédéraux pour prévenir la victimisation des personnes vulnérables pendant la COVID‑19. Je recommande l’élaboration et la diffusion immédiates de messages publics et de campagnes pour atteindre les personnes vulnérables et les guider vers la sécurité et les ressources, s’ils en ont besoin, comme les refuges pour femmes, les centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle et les organismes de services aux victimes. Nous devrions également saisir cette occasion pour cibler et atteindre les hommes qui risquent d’utiliser la violence, les abus et le contrôle coercitif dans leurs relations.

Je suis à votre disposition pour vous parler en tout temps de cette question urgente et je vous remercie de votre attention.

 

Veuillez agréer, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, mes salutations distinguées.

 

Heidi Illingworth
Ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels

 

 


Réponse


Heidi Illingworth
Ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels
Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels
heidi.illingworth@ombudsman.gc.ca

 

Madame Illingworth,

 

Je vous remercie de votre lettre du 29 mars 2020 et d'avoir soulevé ces questions importantes. Nous sommes très sensibles aux graves conséquences de cette situation difficile sur les victimes de violence conjugale et familiale, et nous vous remercions d’avoir pris le temps de nous faire part de vos préoccupations.

Les pandémies passées et les preuves considérables fournies par les parties prenantes, la recherche nationale et internationale et les reportages des médias nous ont appris que la COVID-19 produit des effets différents, en particulier auprès des femmes et des enfants.

Femmes et égalité des genres Canada (FEGC) s'est engagé à faire en sorte que l'ACS+ et l'égalité des genres soient au coeur de la réponse du gouvernement du Canada à la COVID-19.

Comme vous l'avez mentionné, le Plan d‘intervention économique du Canada pour répondre à la COVID-19 prévoit 50 millions de dollars de financement d'urgence immédiat pour les maisons d'hébergement pour femmes et les centres d'aide aux victimes d'agressions sexuelles. II s'agit du premier financement que le gouvernement fédéral consacre expressement au fonctionnement des maisons d'hébergement et des centres d’aide aux victimes d'agressions sexuelles. Sur les 40 millions de dollars octroyés à FEGC, 30 millions de dollars ont été déboursés comme suit :

  • 20,54 millions de dollars à Hébergement femmes Canada, qui seront distribués à plus de 420 maisons d'hébergement pour femmes victimes de violence dans l'ensemble du pays;
  • 3 millions de dollars à la Fondation canadienne des femmes pour repartir les fonds à environ 90 centres d’aide aux victimes d'agressions sexuelles dans tout le pays;
  • 6,46 millions de dollars seront versés aux maisons d'hébergement pour femmes et aux centres d’aide aux victimes d'agressions sexuelles au Québec, dans le cadre d’une entente entre le Canada et le Québec.

Des 50 millions de dollars accordés aux maisons d'hébergement pour femmes et aux centres d’aide aux victimes d'agressions sexuelles, 10 millions de dollars ont été remis à Services aux Autochtones Canada (SAC) en vue d’appuyer le réseau actuel de 46 maisons d’hébergement d'urgence situées sur les réserves et au Yukon. Ces fonds assurent un soutien aux femmes et aux enfants autochtones qui fuient la violence.

Par ailleurs, il est à noter que SAC dispose de plus de fonds pour aider les organismes et les communautés autochtones à prevenir la pandémie, à s’y préparer et à y réagir. Ce plan comprend un financement de 305 millions de dollars pour le nouveau Fonds de soutien aux communautés autochtones fondé sur les distinctions afin de repondre aux besoins immédiats des communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis, et il inclut un investissement initial de 15 millions de dollars pour soutenir les organismes et les communautés autochtones qui fournissent des services aux Autochtones dans les centres urbains ou aux membres des Premières Nations vivant hors réserve.

Le gouvernement du Canada a également prévu d’autres mesures de soutien pour les Canadiennes et les Canadiens vulnérables et les organismes offrant des services de première ligne, notamment 350 millions de dollars pour le Fonds d'aide communautaire d'urgence d’Emploi et Développement social Canada (ESDC) pour aider les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif à adapter leurs services de première ligne aux besoins des personnes vulnérables pendant la pandémie; 7,5 millions de dollars à Jeunesse, J'écoute; 100 millions de dollars pour améliorer l'accès à des aliments essentiels, y compris les banques alimentaires; et 9 millions de dollars à Centraide Canada pour apporter un soutien aux personnes âgées dans la collectivité.

Bien que ces efforts tangibles apportent un soutien plus que nécessaire, nous savons que des lacunes subsistent. Le gouvernement travaille en étroite collaboration avec les provinces et les territoires, les parties prenantes et les partenaires afin de cerner d'autres besoins et définir des pistes d'action.

Depuis la mi-mars, nous nous sommes engagés dans de nombreuses consultations avec des homologues provinciaux et territoriaux et avons organisé des tables rondes sur la violence fondée sur le sexe et sur les communautés vulnérables auxquelles ont participé plus de 350 personnes représentant des organismes de différentes régions du pays. Nous vous remercions de votre participation à ces activités et nous tenons compte de vos conseils, ainsi que de ceux de nos partenaires et des parties prenantes.

Nous retenons également vos commentaires concernant la création et la diffusion immédiate de messages publics pour rejoindre les populations vulnérables et les orienter vers des ressources en matière de sécurité. En réponse directe aux répercussions de cette pandémie sur les victimes de violence familiale, le ministère de la Justice du Canada a diffusé une série de messages sur les médias sociaux au début du mois d’avril afin de fournir des renseignements et des ressources aux victimes qui sont isolées à la maison avec leurs agresseurs.

À mesure que les choses avanceront, en plus de répondre aux besoins immédiats liés à la pandémie, nous commencerons à planifier notre reprise et à poursuivre nos objectifs en matière d’égalité et d’équité entre les sexes pour toutes les Canadiennes et tous les Canadiens. Cela suppose l'élaboration d’un plan d’action national sur la violence fondée sur le sexe, en partenariat avec les provinces et les territoires, les partenaires et les parties prenantes, pour veiller à ce que toute personne exposée à ce type de violence ou qui en est victime obtienne une protection, des services et un soutien fiables et rapides en s’attaquant aux causes profondes et aux obstacles systémiques qui contribuent à la perpétuer.

Sachez que nous prendrons vos recommandations en compte alors que nous continuons à travailler avec nos homologues du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires pour trouver des solutions.

Nous nous réjouissons à l'idée de travailler avec vous dans un avenir prochain dans le cadre de nos dossiers communs.

Avec tout le respect qui vous est dû,

 

L’honorable Maryam Monsef, C.P., députée
Ministre des Femmes et de Égalité des genres et du Développement économique rural

 

 

L’honorable David Lametti, C.P., c.r.. député
Ministre de la Justice et procureur général du Canada