Présentation au Comité permanent de la justice et des droits de la personne sur l’Étude sur les répercussions de la COVID-19 sur le système de justice au Canada

 

« Une pandémie ne fait pas cesser [la violence]. Elle ne fait que la rendre silencieuse »i.
- Wanda McGinnis, chef de la direction de la Wheatland Crisis Society, un organisme des régions rurales de l’Alberta


Présenté par : Mme Heidi Illingworth, Ombudsman
Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels
Mai 2021


À propos du Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels

Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels aide à répondre aux besoins des victimes, défend leurs intérêts et formule des recommandations à l’intention du gouvernement fédéral sur des questions qui touchent les victimes. Pour plus de renseignements, consulter le site : https://www.victimesdabord.gc.ca/


CONTEXTE

En tant qu’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels, mon mandat consiste à contribuer à faire en sorte que les droits des victimes et des survivants d’actes criminels soient respectés et défendus et que le gouvernement fédéral s’acquitte de ses obligations envers les victimes. En plus d’aider les victimes, nous avons aussi la responsabilité de cerner et de faire ressortir les problèmes émergents et systémiques qui ont une incidence négative sur les victimes d’actes criminels au niveau fédéral.  

L’un de ces problèmes est l’effet de la pandémie de COVID-19 sur les victimes et les survivants d’actes criminels. Il ne fait aucun doute que la pandémie a eu des effets profonds sur le système de justice pénale (SJP) du Canada. Malheureusement, les mesures jugées nécessaires pour contenir la propagation du virus et garder les gens en santé et en sécurité (p. ex. les ordonnances de confinement) ont eu pour conséquence involontaire de compromettre la sécurité (physique, émotionnelle, psychologique et financière) de nombreux Canadiens. Il importe de reconnaître que la pandémie a exacerbé les défis auxquels sont confrontées les victimes d’actes criminels au Canada et a eu des effets disproportionnés sur les populations vulnérables qui risquent déjà plus que les autres d’être victimes de violence et d’être victimisées (p. ex. les femmes, les membres de la communauté 2ELGBTQ+, les Autochtones et les personnes racialisées).  

En mars 2020, j’ai écrit une lettre à la ministre Maryam Monsef et au ministre David Lametti pour exprimer mon inquiétude face à la victimisation des personnes vulnérables pendant la pandémie de COVID-19, en particulier celle des femmes et des enfants victimes de la violence conjugale (VC) et de la violence familiale (VF). En mai 2020, j’ai écrit à la Dre Theresa Tam au sujet de la nécessité de disposer d’une stratégie de prévention de la violence dans le cadre du plan de relance pandémique du Canada étant donné que la violence familiale et fondée sur le sexe est un grave problème de santé publique. Je demeure préoccupée par la situation de nos citoyens les plus vulnérables et j’ai depuis écrit à la ministre Deb Schulte au sujet de l’augmentation des taux de maltraitance des personnes âgées et au ministre Lametti concernant la nécessité d’abroger l’article 43 du Code criminel du Canada pour réduire les châtiments corporels infligés aux enfants et j’ai présenté un Mémoire à la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence contre les femmes sur l’augmentation de la violence familiale pendant la pandémie de COVID-19. Je vous invite à consulter ces documents en suivant les liens du présent document.

Il me fait plaisir de présenter un mémoire sur cette question. Le présent mémoire sera axé sur deux domaines importants dans lesquels la pandémie s’est répercutée sur le SJP. D’abord, je parlerai des risques accrus auxquels sont confrontées les victimes de la VC et de la VF dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Pour beaucoup de gens au Canada, la maison n’est pas un endroit sûr. Les experts conviennent que la violence conjugale et la violence faite aux enfants augmentent considérablement au Canada en raison des mesures d’urgence prises en réponse à la pandémie – c’est ce que l’on a appelé la « pandémie de l’ombre ». Quantité de sources de tensions et de stress se superposent actuellement au sein des foyers et des familles, ce qui peut entraîner un risque accru de violence. Par exemple, beaucoup souffrent d’un stress accru en raison du manque d’options pour la garde d’enfants ainsi que de la hausse du nombre des pertes d’emploi et du chômage qui se répercutent de manière disproportionnée sur les femmes de couleur et les communautés d’immigrantsii. Alors que les lieux de travail, les écoles, les organismes communautaires et les soutiens sociaux offraient autrefois des possibilités d’établir des liens et de trouver un réconfort à de nombreuses victimes de la violence familiale, ces personnes sont maintenant isolées et possèdent un accès limité ou inexistant aux services et soutiens habituels. Si les personnes sont en mesure de demander de l’aide, elles peuvent ne pas être en mesure d’accéder aux services ou au soutien car de nombreux services essentiels, tels que les refuges pour les victimes de la violence familiale et les lignes d’assistance en cas de crise, sont débordésiii. Parallèlement à la pandémie de l’ombre, nous avons assisté à une hausse du nombre des crimes haineux avec la violence anti-Asiatiques et le racisme anti-Noirs qui persiste.

Deuxièmement, le présent mémoire portera sur la façon dont la COVID-19 s’est répercutée sur la capacité du SJP à accomplir des fonctions essentielles et nécessaires ainsi que sur l’accès à la justice pour de nombreux survivants et victimes de crimes. Avant la pandémie de COVID-19, les victimes et les populations vulnérables avaient signalé qu’elles étaient confrontées à de nombreux obstacles qui les empêchent de s’orienter dans le SJP et avoir l’impression que l’on ne s’était soucié d’elles qu’après coup. En raison de la pandémie, la capacité du SJP à accomplir ses fonctions nécessaires et essentielles est devenue encore plus limitée. De nombreux survivants et victimes d’actes criminels n’ont pas été en mesure d’obtenir l’aide dont ils avaient besoin ou d’accéder à la justice à la suite d’un crime, ce qu’a révélé d’importants délais dans les procédures judiciaires, des obstacles supplémentaires à la participation des victimes et une réduction de la prestation de services.

POSITION

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les inégalités liées aux déterminants sociaux de la santé ont été amplifiéesiv. Bien que la pandémie ait eu des répercussions importantes sur tout le monde, nous savons que ses effets ont été inégaux. Nous utilisons souvent le mot « sécurité » pour parler des efforts que nous faisons pour tenir les Canadiens en santé dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Cependant, nous savons que la sécurité est un privilège et n’est pas la réalité pour de nombreux Canadiens en raison de nombreux facteurs qui se superposent. De plus, la sécurité doit être considérée d’un point de vue holistique – ce n’est pas simplement l’absence de maladie ou d’exposition au virus – mais plutôt le bien-être émotionnel, social, financier, physique et psychologique et l’absence de violence et de sévices. Les victimes et les personnes vulnérables doivent être placées au cœur de cette discussion tandis que des décisions continuent d’être prises pour assurer la « sécurité » des Canadiens.

Cela est particulièrement vrai dans le contexte de la pandémie de l’ombre où l’expérience de la sécurité et le sentiment de se sentir en sécurité chez soi ne sont tout simplement pas la réalité pour les personnes victimes de VC et de VF. Il est essentiel que la sécurité des personnes vulnérables dans tous les sens du terme soit au premier plan lors de l’élaboration des politiques et de la prise des décisions. Pour ce faire, nous devons nous assurer de ne pas aggraver la pandémie de l’ombre par des confinements et d’autres mesures et de tenir compte de l’importance de l’accès à la justice. Plus que jamais, les victimes d’actes criminels ont besoin de protection, de soutien et d’un accès à une justice qui agit rapidement. Nous ne pouvons pas mettre le SJP en veilleuse à cause de la pandémie. Nous devons réagir en conséquence à la montée de la violence et de la victimisation et trouver des moyens de maintenir le fonctionnement optimal du SJP. Il importe que les victimes et le grand public sachent que la justice est rendue. Pour ce faire, nous devons continuer à moderniser le SJP et trouver des moyens novateurs d’administrer la justice qui soient efficients, efficaces et axés sur la victime, y compris en tirant parti des technologies de la vidéo et de l’audio / téléconférence dans toutes les régions du Canada.    

CONSIDÉRATIONS

Risques accrus créés par la VC chez les groupes vulnérables : De nombreux Canadiens étant isolés à la maison, la VC et la VF sont de plus en plus isolées et dissimulées, ce qui augmente le risque pour la sécurité des victimes. Des organismes de partout au pays qui offrent des services aux victimes ont dit au BOFVAC qu’ils craignaient pour les femmes et les enfants qui sont isolés à la maison avec les auteurs des sévices qu’ils subissent. De nombreuses victimes peuvent être incapables d’appeler pour demander de l’aide ou avoir peur de le faire alors que les auteurs des sévices qu’elles subissent sont toujours présents.

Dans l’ensemble, au Canada, le taux de violence affiche une hausse de l’ordre de 20 % à 30 %. Dans la province de l’Ontario, les services de police ont signalé une augmentation de 22 % du nombre des incidents de violence familiale et des cas d’agression sexuelle signalés depuis le début de la pandémie v. Le nombre des appels aux refuges pour les victimes de la violence familiale a triplé dans certaines régions du pays vi. Dans d’autres régions, par contre, des préoccupations liées à la distanciation sociale et les craintes touchant la propagation du virus ont mené à une baisse du nombre d’appels aux refuges pour femmes battues et du nombre de survivantes hébergées dans ceux-ci. On a observé dans certaines villes une chute importante du nombre des appels ou une baisse du nombre des demandes d’aide dans les refuges, les centres pour victimes d’agression sexuelle ou les lignes d’écoute téléphoniques, surtout dans les collectivités rurales. Mais rien de tout cela ne veut dire qu’il n’y a pas de violence familiale. L’usage des armes devient plus courant dans les cas de violence familiale à l’ère de la COVID-19. Services aux victimes de Toronto doit maintenant organiser trois fois plus de nettoyages de scènes de crime qu’auparavantvii.

Par ailleurs, les auteurs de la violence familiale peuvent utiliser la pandémie de COVID-19 comme moyen d’exercer un contrôle coercitif. Ils peuvent réduire l’accès de leur partenaire au soutien, à l’aide et aux services psychologiques ainsi qu’aux produits de première nécessité comme le savon et le désinfectant pour les mains et exercer un contrôle en diffusant délibérément de l’information erronée sur la maladie et en stigmatisant les victimes viii.

Les programmes canadiens des services aux victimes ont également été considérablement touchés par la COVID-19. Selon un rapport de 2020 de Statistique Canada qui a sondé de nombreux organismes de services aux victimes, les trois principaux facteurs qui se sont répercutés sur leur capacité à fournir des services aux clients sont l’accès aux ressources pour les clients, le passage au travail à domicile et la disponibilité des bénévoles ix . En raison des mesures de santé publique et des restrictions, bon nombre des services en personne essentiels (p. ex. la préparation aux procédures judiciaires et l’accompagnement) ont été suspendus car de nombreux membres du personnel travaillent à domicile. Le personnel de nombreux organismes de services aux victimes est composé en grande partie de bénévoles. La suspension de nombreux programmes de bénévolat jugés « non essentiels » pendant cette période a été un obstacle important à leur capacité de fournir des services au mieux de leurs capacités. Bien que de nombreux organismes ont adapté leurs services au mieux de leurs capacités, la pandémie a gravement compromis la capacité à offrir un soutien et un accès adéquats aux victimes. Ceci est particulièrement préoccupant dans le contexte de la hausse de la VC et de la VF pendant la pandémie.

Bien que j’applaudisse les initiatives fédérales telles que le Fonds de réponse et de relance féministes, pour le soutien supplémentaire qu’elles apporteront aux femmes victimes de la VC, je crois qu’il faut mettre davantage l’accent sur le financement de la lutte contre la VC et la VF et la recherche de leurs causes profondes afin de prévenir la violence avant qu’elle ne survienne.

Populations vulnérables : Il importe de reconnaître que la pandémie a eu des répercussions disproportionnées sur les populations vulnérables. Les données probantes indiquent que le risque et le nombre d’incidents violents dont les victimes sont des femmes ou des enfants augmentent, en particulier chez les femmes et les enfants autochtones, racialisés, handicapés et nouveaux arrivants et les personnes qui s’identifient comme étant 2ELGBTQ+. Les données préliminaires montrent que la pandémie frappe plus durement les communautés marginalisées que les autres x. De plus, ces groupes marginalisés doivent faire face à une oppression structurelle considérable. Par exemple, les personnes qui s’identifient comme 2ELGBTQ+ ont indiqué que la difficulté d’obtenir de l’aide des fournisseurs de services aux victimes est souvent un obstacle en soi, car les organisations de services aux victimes peuvent ne pas comprendre l’importance de tenir compte des identités multiples et intersectionnelles xi. Ces différents obstacles ont des répercussions considérables sur la sécurité des femmes marginalisées ainsi que sur les inégalités auxquelles elles sont confrontées, ce qui peut contribuer à la violence xii .

Fémicide : Le nombre des fémicides a augmenté au Canada au cours de la dernière année. Selon le rapport de 2020 « #CestunFemicide » de l’Observatoire canadien du fémicide pour la justice et la responsabilisation, en 2020, un total de 160 femmes et filles ont été tuées par la violence au Canada. Sur ces 160 victimes, 128, soit 80 %, ont été tuées par des hommes. De plus, bien qu’elles représentent moins de 5 % de la population canadienne, les femmes et les filles autochtones sont surreprésentées parmi les victimes (soit une femme ou fille tuée sur cinq). Le rapport « #CestunFemicide » souligne la nécessité de « rendre visibles les victimes invisibles » et mon bureau soutient cet appel à l’action.

Violence faite aux enfants : Les services d’aide sociale à l’enfance ont également enregistré moins de signalements de maltraitance d’enfants que d’habitude. Cela tient probablement à l’absence de témoins : le personnel scolaire effectue 90 % des signalements de violence faite aux enfants, mais les écoles sont fermées en raison de la pandémie. Une étude récente de Sistovaris et coll. (2020) souligne que les enfants pris en charge risquent plus que les autres de subir des préjudices, non seulement en raison de la pandémie, mais aussi en raison de la maltraitance physique et émotionnelle, de la violence fondée sur le sexe, des problèmes de santé mentale et de la détresse psychosociale, des conditions de travail qui constituent de l’exploitation, de la séparation d’avec leurs fournisseurs de soins et de l’exclusion sociale xiii. La recherche montre que les ressources et la capacité du système subissent des pressions considérables, tandis que les organismes et les intervenants en protection de l’enfance peinent à offrir des services et du soutien à leur clientèle.

En raison de la hausse de la VF pendant la pandémie et de la diminution de la visibilité des enfants entraînée par les mesures de confinement, mon bureau reste préoccupé par la vulnérabilité accrue des enfants, en particulier de ceux qui risquent déjà d’être victime de la violence. Il est bien établi dans les publications scientifiques que les traumatismes de la petite enfance peuvent avoir des conséquences à vie pour les victimes, telles qu’une mauvaise santé mentale, une maladie physique, des changements neuropsychologiques et des problèmes de comportement (p. ex. l’impulsivité) xiv. Un trop grand nombre de Canadiens, en particulier de nombreux Autochtones, vivent avec les conséquences d’un traumatisme intergénérationnel. Comme je l’ai déjà mentionné dans ma lettre d’août 2020 au ministre Lametti, j’ai recommandé d’abroger l’article 43 du Code criminel : « Discipline des enfants ».

Maltraitance des personnes âgées : Les personnes âgées représentent une population vulnérable car elles dépendent souvent de plus en plus des autres pour prendre soin d’elles-mêmes et répondre à leurs besoins élémentaires à mesure qu’elles vieillissent. Cette dépendance expose les personnes âgées à diverses formes de préjudice, de négligence et d’exploitation. Les fournisseurs de services ont signalé une augmentation inquiétante de la maltraitance des personnes âgées pendant la pandémie de COVID-19 et celle-ci a été exacerbée par l’isolement et l’accroissement du stress – y compris pour les aidants naturels non rémunérés. Cela a rendu les personnes âgées particulièrement vulnérables aux mauvais traitements, tout en aggravant la dissimulation du problème. Comme la plupart des sévices qui sont commis dans la sphère privée de la maison par de personnes en qui les victimes ont confiance, la maltraitance des personnes âgées est de nature insidieuse et largement cachée. Ceci est particulièrement préoccupant pour les personnes âgées qui vivent dans des résidences privées où la violence est déjà un problème. Nous savons que les personnes qui ont été des victimes dans le passé risquent plus que les autres de l’être de nouveau. La COVID-19 a entraîné une aggravation particulièrement aiguë des problèmes de maltraitance des personnes âgées : nous devons mettre en place plus d’outils pour soutenir la détection de la maltraitance des personnes âgées et protéger leur bien-être partout au Canada, en particulier pendant la pandémie de COVID-19. 

Autochtones : Les femmes autochtones du Canada étaient confrontées à des niveaux de violence et de sévices plus élevés que ceux des autres avant la pandémie, comme l’a souligné l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. En fait, les femmes autochtones sont trois fois plus susceptibles que leurs homologues non autochtones d’être victimes de la violence xv. Le rapport final de l’Enquête nationale a révélé que des atteintes aux droits humains et aux droits des Autochtones et des sévices persistants et délibérés sont à l’origine des taux effroyables de violence faite aux femmes, aux filles et aux personnes 2ELGBTQ+ autochtones au Canada xvi. Bien qu’elles représentent moins de 5 % de la population féminine canadienne, elles représentent au moins 25 % des femmes victimes de meurtre xvii . Dans une enquête récente réalisée auprès de plus de 250 femmes autochtones, une femme sur cinq a déclaré avoir été victime de violence physique ou psychologique au cours des trois mois précédents xviii. De plus, comme de nombreux refuges et centres pour victimes d’agression sexuelle au Canada ne sont pas dirigés par des Autochtones ni ne leur sont destinés, de nombreuses femmes autochtones ne s’y rendront pas. Même à Toronto, la plus grande ville du pays, il n’y a toujours pas de refuge destiné exclusivement aux femmes autochtones.

Dans l’ensemble, il appert que les familles et les femmes autochtones comptent parmi les groupes les plus durement touchés par la violence au foyer découlant des mesures obligatoires de confinement. Si ces femmes quittent leur foyer, elles sont à la merci de refuges et d’organismes dont les ressources ont été dépassées et réduites.

Nouveaux arrivants : Les femmes nouvellement arrivées au Canada présentent diverses caractéristiques identitaires qui peuvent les amener à faire l’objet de discrimination comme la marginalisation socioéconomique, l’insécurité financière, l’isolement et des rapports de force inégaux dans leurs relations. En raison de ces facteurs, les femmes nouvellement arrivées au Canada peuvent être plus exposées que les autres à la violence fondée sur le sexe. Une analyse de santé publique réalisée récemment sur les cas de COVID-19 dans la ville de Toronto a montré que les quartiers de la ville où les revenus sont les plus bas, où les taux de chômage sont les plus élevés et où les concentrations de nouveaux arrivants sont les plus élevées avaient toujours deux fois plus de cas que les autres et plus du double de leur taux d’hospitalisation xix.

Dans l’ensemble, au Canada, la pandémie de COVID-19 a accru la marginalisation économique et le chômage. L’expérience peut s’avérer difficile pour les familles nouvellement arrivées, surtout si l’identité des hommes est liée à leur capacité de jouer le rôle de pourvoyeur du ménage. Le chômage a été lié à l’utilisation de mesures punitives contre les enfants ainsi qu’à une augmentation de l’alcoolisme et de la violence xx. À mesure que davantage de personnes se retrouveront sans emploi et connaîtront des difficultés financières à cause de la pandémie, nous assisterons probablement à une augmentation de la violence fondée sur le sexe exercée par des hommes voulant réaffirmer leur masculinité. Cette réalité sera exacerbée par le fait que les femmes et les familles nouvellement arrivées sans statut de citoyen seront confrontées à des obstacles pour ce qui est d’accéder à de l’information, à du counseling, à des services communautaires, à des services médicaux et à des services d’urgence pour rester en sécurité.

Canadiens noirs : Les données fondées sur la race de l’Hospital for Sick Children de Toronto montrent que les Canadiens noirs sont beaucoup plus susceptibles de tomber malades et d’être hospitalisés à cause de la COVID-19 que tous les autres Canadiensxxi. Les chercheurs soupçonnent que les facteurs de risque en jeu comprennent le fait de vivre dans des logements surpeuplés (p. ex. les foyers multigénérationnels), des problèmes médicaux préexistants qui sont souvent associées à un statut socio-économique peu élevé, et les facteurs liés à l’emploi qui augmentent le risque d’exposition (p. ex. travail de première ligne et fait d’occuper plusieurs emplois). Il est essentiel de comprendre les implications du racisme systémique pour les Canadiens noirs et d’en tenir compte pour contextualiser cette information.

Selon une étude de la Commission des droits de la personne de 2018, les Noirs sont largement surreprésentés dans les cas où la police a utilisé la force contre des civils. Face à la COVID-19 et à la violence policière, les leaders de la santé noirs, les chercheurs et les défenseurs des droits demandent que le racisme anti-Noirs systémique au Canada soit considéré comme une crise de santé publique xxii.

Je sais que dans l’Énoncé économique de l’automne 2020 intitulé : « Soutenir les Canadiens et lutter contre la COVID-19 » xxiii, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il adoptait et finançait les « évaluations de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle » (EIOEC). C’est un pas important vers la lutte contre le racisme systémique au sein du SJP et je voudrais exprimer mon soutien à cette initiative. 

Violence Anti-asiatiques : Depuis le début de la pandémie de COVID-19, il y a eu une augmentation du racisme et de la violence contre les personnes asiatiques et les personnes d’ascendance asiatique dans le monde entier. Ces personnes ont été la cible de discours préjudiciables, de propos désobligeants, ainsi que d’actes haineux et racistes en ligne et en personne au Canada et dans le monde entierxxiv.  Les données de Statistique Canada montrent que les Canadiens d’origine asiatique étaient plus susceptibles que les autres de déclarer avoir remarqué une augmentation du harcèlement racial ou ethnique pendant la pandémiexxv.

 

Délais et limitation de l’accès à la justice entraînés par le fait que le SJP est incapable d’accomplir ses fonctions essentielles et nécessaires

 

Champ d’action limité des tribunaux pénaux

Depuis le début de la pandémie de COVID-19 au Canada, les activités des tribunaux pénaux, de la famille et civils ont été considérablement réduites en raison des mesures de distanciation physique et d’autres exigences en matière de santé et de sécurité publiques xxvi. Pour protéger la santé et la sécurité des personnes qui ont recours aux tribunaux et pour contenir la propagation de la COVID-19, la plupart des tribunaux ont suspendu leurs activités régulières ou ont reporté des instances. Dans l’ensemble, les tribunaux n’ont instruit que les affaires urgentes pendant cette période.

Bien que de nombreuses entreprises et gouvernements aient adapté leur environnement opérationnel au moyen de divers logiciels et technologies, de nombreux palais de justice au Canada ont une infrastructure ancienne et la mise en œuvre de la vidéoconférence a présenté des difficultés. Pour certains palais des régions éloignées, la bande passante et l’accès à Internet continuent de poser problème. Certains palais de justice s’adaptent en utilisant la téléconférence pour tenir des audiences de détermination de la peine et instruire des affaires urgentes, ce qui est une bonne chose. Toutefois, en général, nous ne pouvons pas déterminer avec certitude combien d’affaires de violence familiale se retrouvent devant les tribunaux à l’heure actuelle.

Il est nécessaire de continuer à poursuivre les personnes accusées de violence conjugale et de les tenir responsables. Il est également essentiel de se pencher sur les mesures entourant la mise en liberté provisoire des personnes accusées de violence familiale durant la pandémie.

Disponibilité et accessibilité des ordonnances de protection dans le contexte de la pandémie de COVID-19

Nous ne savons pas dans quelle mesure l’accès des victimes à des mesures de sécurité et de protection à la suite de la violence a été entravé par diverses mesures prises par le gouvernement pour contenir la propagation du virus.

Au début de la pandémie, dans la province de l’Alberta, les juges du Banc de la Reine n’instruisaient que des affaires de droit de la famille où il y avait un risque de violence ou de préjudice immédiat causé à l’une des parties ou à un enfant, ou un risque que l’enfant soit retiré de la province. Certaines affaires en matière de protection de l’enfance satisfont à ce critère, tout comme les révisions des ordonnances de protection d’urgence (OPU), un type d’ordonnance d’interdiction que les tribunaux peuvent rendre dans des affaires de violence familiale. Malgré les limites actuelles des tribunaux, on a délivré davantage d’OPU au cours du premier trimestre de 2020 que pendant la même période en 2019, selon le ministère de la Justice de l’Alberta. Entre janvier et avril 2020, les Albertains ont demandé 1 110 OPU, et 802 demandes ont été accueillies. Les deux chiffres étaient en hausse d’environ 5 % d’une année sur l’autre xxvii.

Les tribunaux n’imposent pas de peine privative de liberté / Libération anticipée des délinquants

Nous apprenons que, en raison du risque posé par le virus, de nombreux agents de la paix libèrent sous caution les personnes accusées de violence familiale au lieu de les mettre en détention provisoire jusqu’à leur comparution. Dans une telle situation, le risque pour la sécurité de la victime est élevé.
De même, des victimes ont fait part à mon bureau de leurs inquiétudes au sujet de la couverture médiatique qui évoque la libération potentielle de délinquants des établissements correctionnels aux niveaux fédéral et provincial/territorial qui est une conséquence directe de la COVID-19. Veiller à ce que les victimes se sentent en sécurité et protégées dans leur communauté doit être une priorité absolue en tout temps. La transmission en temps opportun d’information sur les faits aux victimes et aux survivants est essentielle à cet égard.

Délais du système de justice

Mon bureau reste préoccupé par l’écart croissant en matière d’accès à la justice. Nous avons appris des victimes et des familles avec lesquelles nous travaillons qu’il y a de longs délais dans le traitement de leurs affaires par nos tribunaux pénaux. Les délais liés à la COVID aggravent l’arriéré préexistant des affaires pénales, ce qui signifie que les victimes doivent attendre encore plus longtemps pour que justice soit faite. Ceci révèle un grave déséquilibre, étant donné que les accusés ont le droit d’être jugés dans un délai raisonnable garanti par la Charte. L’administration de la justice doit se faire sans délai au Canada, car le public, y compris les victimes d’actes criminels, mérite de pouvoir accéder rapidement aux services de justice et continuera de perdre confiance dans le système de justice si des affaires traînent en détention provisoire ou sont rejetées en raison des délais. Les victimes et les survivants signalent à mon Bureau qu’ils se sentent victimisés et traumatisés de nouveau chaque fois qu’une audience du tribunal est retardée, qu’ils subissent des répercussions financières, émotionnelles et psychologiques et souffrent de stress, d’anxiété et de revictimisation et craignent pour leur sécurité personnelle pendant qu’un accusé peut se trouver en liberté sous caution. Plus le délai avant le procès se prolonge, plus ils risquent d’oublier des détails importants sur le crime. Les victimes déclarent souvent être bloquées psychologiquement et incapables de poursuivre leur processus de guérison en attendant que justice soit rendue.

Les retards dans les tribunaux au milieu de la pandémie sont encore aggravés par l’auto‑représentation croissante au sein du SJP. Cela est particulièrement vrai pour les personnes qui n’ont pas les moyens de se payer un avocat et qui ne sont pas admissibles à l’aide juridique xxviii. L’inaccessibilité croissante des conseils juridiques expose les victimes à des obstacles à l’accès à des conseils juridiques et à une représentation solides. L’accès à une justice rapide et équitable est un droit humain fondamental pour tous les Canadiens et devrait être traité comme tel.

Les victimes peuvent également subir des répercussions financières lorsque les affaires sont retardées. Les victimes et les survivants ont fait part de leurs préoccupations à mon Bureau concernant les répercussions financières qu’ils ont subi, y compris la perte de revenus entraînée par la COVID-19. Une famille a communiqué avec le BOFVAC pour s’enquérir des soutiens et des services mis à sa disposition. Lorsque son fils a été assassiné en août 2020, la famille a dû utiliser sa Prestation canadienne d’urgence (PCU) pour payer ses funérailles.

Les victimes ont besoin de s’absenter plus longtemps de leur travail lorsque les procès sont retardés, ce qui peut compromettre leur emploi. Les autres préoccupations comprennent les dispositions prises pour la garde d’enfants en sus des besoins habituels.

Enfin, il existe un risque que des affaires soient rejetées si elles sont repoussées au-delà des plafonds imposés par la Cour suprême du Canada (CSC) en juillet 2016. Dans sa décision rendue dans l’affaire R. c. Jordan, la CSC a établi des plafonds présomptifs – 18 mois pour les affaires jugées devant les tribunaux provinciaux et trente mois pour les affaires jugées par les cours supérieures (ou les affaires jugées par les tribunaux provinciaux après une enquête préliminaire).

Il a été proposé de procéder à une purge massive des affaires pour remédier à l’arriéré croissant. Ceci serait inacceptable pour la plupart des victimes et des survivants, compte tenu en particulier de la hausse de la VC et de la VF qui a été signalée pendant la pandémie. Il est nécessaire de tenir les auteurs des sévices responsables. Nous devons également prendre bien garde concernant la libération des personnes accusées de violence familiale qui ne doit pas être négligée pendant la pandémie. La Charte canadienne des droits des victimes exige qu’il soit tenu compte des droits des victimes d’actes criminels dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

Nous devons envisager d’autres moyens de rendre justice aux victimes et aux survivants d’actes criminels et de tenir les délinquants responsables, par exemple au moyen de la justice réparatrice ou transformatrice. La justice transformatrice (JT) est un cadre politique et une approche visant à répondre à la violence, aux préjudices et aux sévices 1. Dans sa forme la plus élémentaire, elle a pour but de répondre à la violence sans créer plus de violence et/ou de réduire les méfaits pour diminuer la violence.

Je prends note de la présentation par le ministre de la Justice en février 2021 du projet de loi C‑23 dans lequel il propose d’apporter des modifications au Code criminel pour améliorer l’efficience et l’efficacité du système de justice pénale du Canada. J’espère que ces mesures aideront à soulager la pression exercée sur les tribunaux en tirant parti des technologies de la vidéo et de la téléconférence pour contribuer à accélérer les dépôts et tenir des audiences d’une manière inclusive et efficace.

Non-respect des droits des victimes par les responsables du SJP

Au niveau fédéral, les droits des victimes d’accéder et de participer au processus de libération conditionnelle ont été initialement limités en raison de la COVID-19. Au début de la pandémie et du confinement qui a suivi, nous avons appris que la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) avait annulé les droits de tous les observateurs d’assister aux audiences jusqu’à nouvel ordre dans le but de se conformer aux mesures nationales visant à arrêter la propagation de la COVID-19. Immédiatement, mon Bureau a commencé à recevoir des plaintes de victimes et d’intervenants au sujet des audiences qui se poursuivent en l’absence des victimes.

Bien que nous ayons convenu que des mesures devaient être prises pour ralentir la transmission de la COVID-19, nous étions d’avis que la CLCC devrait essayer d’utiliser la technologie pour accommoder les victimes, étant donné leur droit de participer et d’exprimer leurs opinions garanti par la loi. Pire, nous avons alors appris que les mêmes limitations n’étaient pas imposées aux assistants des délinquants pour lesquels des mesures d’adaptation étaient prises au cas par cas.

Étant donné que la prise en compte des droits des victimes d’actes criminels est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le BOFVAC s’est efforcé de remédier à ce traitement injuste. Il me fait plaisir de pouvoir dire que les fonctionnaires ont répondu et que les victimes ont ensuite été autorisées à participer aux audiences de la CLCC par téléphone ou vidéoconférence. Nous devons nous assurer que les droits des victimes sont respectés et ne sont pas négligés pendant la pandémie de COVID-19 et au-delà.

RECOMMANDATIONS 

  • Reconnaître les services aux victimes comme essentiels et fournir un financement d’urgence (pendant la pandémie de COVID-19) et durable à long terme à ces organisations.

Les organismes, les défenseurs des droits, les ressources et les programmes de première ligne sont essentiels pour aider les victimes à s’orienter dans le système de justice pénale, à accéder à la justice, éviter la revictimisation et travailler à la guérison. L’accès aux services et aux soutiens pour les victimes est un besoin fondamental et un droit humainxxix. De nombreuses organisations de première ligne au service des victimes (comme les Services aux victimes) dépendent fortement des bénévoles. Compte tenu de la suspension de nombreux programmes de bénévolat pendant la pandémie de COVID-19 ainsi que des taux croissants de violence et de victimisation, de nombreux organismes sont incapables de répondre à la demande croissante en raison de leurs ressources limitées. Un financement durable à long terme permettra à ces organismes d’intervenir plus efficacement pendant la pandémie de COVID-19 et au-delà.

  • Créer une nouvelle législation pour criminaliser le contrôle coercitif dans la violence conjugale.

 

Au Canada, quand les services de police arrivent sur les lieux et qu’il n’y a aucune preuve de violence physique faite à une victime, leurs moyens d’intervention sont limités. De nombreux survivants sont victimes d’un contrôle coercitif exercé par les auteurs des sévices qui utilisent ce genre de comportement pour instiller la peur chez leurs partenaires – ce sont des sévices émotionnels, psychologiques et financiers et souvent leurs auteurs ne sont pas inculpés. Ce comportement fait craindre aux victimes pour leur sécurité et peut comprendre des actes tels que la destruction des biens de la victime et des efforts pour l’isoler ou l’intimider en surveillant de près ses comportements et ses interactions avec d’autres personnes. En ce qui concerne le contrôle coercitif, notre cadre législatif comporte une lacune qui doit être comblée. En apportant les modifications nécessaires au Code criminel, nous améliorerons la sécurité des femmes et des enfants. De plus, nous éliminerons les restrictions dans la reconnaissance des comportements de contrôle coercitif que vivent les corps policiers dans leurs interventions lors de situations de violence conjugale. La réponse à la violence conjugale doit refléter le patron de la violence et des sévices, au-delà de l’infraction à incident unique. Je félicite le Comité permanent de la justice et des droits de la personne d’avoir appelé à prendre des mesures législatives pour criminaliser les comportements qui constituent un contrôle coercitif dans son rapport récent intitulé « La pandémie de l’ombre : mettre fin aux comportements coercitifs et contrôlants dans les relations intimes ».

  • Créer une nouvelle législation sur la maltraitance et la négligence des personnes âgées et adopter une approche de santé publique face à la maltraitance des personnes âgées

 

Il est nécessaire de légiférer pour criminaliser la maltraitance des personnes âgées en tant que forme de violence distincte et omniprésente en reconnaissant la dynamique d’exploitation employée par les auteurs des sévices et d’appliquer des sanctions appropriées pour ces infractions. La création d’infractions particulières peut faciliter la reconnaissance et le signalement par les membres de la famille, les travailleurs sociaux et les responsables de la santé et pourrait également permettre aux forces de l’ordre d’intervenir plus rapidement et plus efficacement dans les cas de maltraitance des personnes âgées. En plus de promulguer une loi qui fait de la maltraitance des personnes âgées une infraction au Code criminel, une approche de santé publique est nécessaire pour répondre à la maltraitance des personnes âgées au Canada, y compris au moyen d’une sensibilisation accrue du public et du financement des mesures de prévention. 

  • Mettre en place une ligne d’assistance téléphonique nationale pour les victimes de la violence conjugale qui offre un soutien au moyen de services de clavardage en direct et de messagerie texte. Élaborer une campagne de sensibilisation pour communiquer des renseignements sur la ligne d’assistance téléphonique nationale pour les victimes de la violence conjugale et de la violence familiale et sur d’autres ressources pertinentes.

 

Nous avons entendu dire que de nombreuses femmes ignorent vers qui se tourner ou quelle aide chercher dans leur localité. Lorsque la sécurité est compromise, l’accès à l’information est crucial. L’accès en temps opportun à de l’information culturellement appropriée dans des formats accessibles et compris par tous est essentiel pour que les gens, surtout les plus vulnérables, arrivent à se prendre en charge dans le contexte d’une crise sanitaire mondiale. En plus de sensibiliser la population canadienne aux répercussions sexospécifiques de la pandémie en faisant ressortir les réalités de la violence familiale, une telle campagne permettrait aussi de diriger les personnes dans le besoin vers des lieux sûrs et des ressources, comme des refuges pour femmes battues, des centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle et des organismes de services aux victimes. Cela ressemblerait à l’initiative Espace mieux-être Canada établie par l’Agence de la santé publique du Canada pour réagir aux préoccupations croissantes concernant la santé mentale. Le service peut être créé en prenant pour modèle des services similaires offerts par Jeunesse, J’écoute, qui a reçu 7,5 millions de dollars de financement du gouvernement fédéral, comme annoncé en mars 2020xxx.

  • Lutter contre la violence familiale de manière proactive en fournissant de l’information, des services d’éducation et des services de prévention virtuellement au moyen de plateformes et/ou d’applications en ligne pour atteindre les personnes vulnérables ainsi que les hommes et les garçons susceptibles d’être à l’origine de la violence, des sévices et du contrôle coercitif.  

 

Il existe des méthodes éprouvées de soutien au changement de comportement que nous pouvons faire connaître à la population afin de prévenir la violence et de réduire la pression subie par nos systèmes d’intervention (p. ex. refuges pour femmes battues, services de police et soins de santé). Si nous communiquons dès maintenant au sujet des principes, des approches et des programmes, nous pouvons désamorcer la violence avant qu’elle éclate dans les familles canadiennes qui présentent un faible risque de violence familiale.

En 2015, le Canada et les autres États membres des Nations Unies ont convenu d’atteindre 17 objectifs de développement durable (ODD) d’ici à 20302 . Parmi un éventail d’objectifs, les ODD comprennent des cibles de réduction importante de la violence, y compris les homicides et la violence faite aux femmes et aux filles (ODD 5), et fournissent ainsi un cadre pour rendre toutes les collectivités plus sécuritaires. Ils visent aussi à promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes à tous aux fins du développement durable, à assurer l’accès de tous à la justice et à mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous (ODD 16). 

  • Remédier à l’accès inéquitable à la justice et aux services de soutien nécessaires pour les victimes et les personnes vulnérables en assurant l’accès aux services d’accès à Internet et à large bande partout au Canada. 

 

L’accès à Internet est essentiel, en particulier dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Malheureusement, tous les Canadiens n’ont pas le même accès à Internet. La VC et la VF sont des crimes alimentés par le pouvoir, le contrôle et l’isolement. Assurer un accès égal à Internet aiderait les personnes à accéder aux rendez-vous en télésanté nécessaires, aux ressources et aux programmes essentiels (p. ex. counseling, planification de la sécurité, services d’intervention en cas de crise) et contribuerait à maintenir les soutiens sociaux nécessairesxxxi. Cela est particulièrement important pour les personnes qui vivent dans des collectivités nordiques et éloignées où échapper à la violence et accéder aux services est encore plus difficile qu’ailleurs. Une attention particulière doit être accordée aux personnes autochtones qui peuvent vivre dans ces régions et se heurter à des obstacles supplémentaires lorsqu’elles cherchent à accéder à la justice.

De plus, assurer l’accès aux services Internet partout au Canada permettrait de répondre aux préoccupations concernant l’accès à la justice des victimes d’actes criminels pendant la pandémie de COVID-19 en veillant à ce que les victimes aient un moyen de participer au processus si elles le souhaitent (p. ex. lire les déclarations d’impact de la victime virtuellement ou assister aux audiences virtuelles de la Commission des libérations conditionnelles). Le projet de loi C-23 actuel, qui offre une certaine souplesse aux tribunaux, comprend des modifications visant à permettre la comparution à distance des accusés et l’utilisation de la technologie pour la sélection des jurés. Il est muet en ce qui concerne les victimes. Nous devons nous assurer que les victimes sont également incluses dans ces changements.

 

  • Recueillir plus de données sur les répercussions de la Covid-19 sur les communautés racialisées et marginalisées. Élaborer un plan et une approche particuliers pour répondre à la montée du racisme et de la violence anti-asiatiques et la combattre. 

Étant donné les effets disproportionnés de la COVID-19 sur les communautés marginalisées et racialisées, il est nécessaire de recueillir davantage de données sur la victimisation pendant la pandémie de COVID-19, en tenant compte en particulier des communautés marginalisées et racialisées (p. ex. les Autochtones; les femmes; les Canadiens noirs; les nouveaux arrivants et d’autres encore). En outre, il est nécessaire de lutter contre la montée du racisme et de la violence anti-Asiatiques, entre autres par exemple en recourant à des messages publics et des programmes éducatifs pour dénoncer le racisme et promouvoir la tolérance et l’inclusion, comme le suggère le Human Rights Watchxxxii.

CONCLUSION

Alors que les victimes d’actes criminels au Canada sont confrontées depuis longtemps à d’importants problèmes d’accès à la justice, la pandémie de COVID-19 a exacerbé bon nombre de ces préoccupations. De plus, nous savons que la COVID-19 a touché de manière disproportionnée les populations vulnérables. Dans ce contexte, les taux de violence et de victimisation augmentent, en particulier la violence conjugale et familiale. Plus que jamais, les victimes et les survivants doivent être au premier plan de la prise des décisions et des mesures d’intervention dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Les victimes ne doivent plus être négligées par le SJP. Les victimes et les survivants méritent d’avoir accès à la justice ainsi qu’à un soutien et à une protection contre toute nouvelle victimisation.


NOTES DE FIN DE DOCUMENT


1 La justice transformatrice (TJ) peut être considérée comme un moyen de « redresser les torts », d’établir une « bonne relation » ou de créer la justice ensemble. Les réponses et interventions de la JT :
  • ne font pas appel à l’État (p. ex. la police, les prisons, le système judiciaire pénal, le système du placement familial), bien que certaines interventions de la JT reposent sur des services sociaux tels que le counseling ou y font appel;
  • ne renforcent ni ne perpétuent la violence comme le font les normes oppressives ou les activités de justicier; et, chose la plus importante,
  • favorisent activement les choses que nous savons capables de prévenir la violence telles que la guérison, la responsabilisation, la résilience et la sécurité de toutes les personnes concernées.

2 Adoptés par tous les États membres des Nations Unies en 2015, les ODD sont un appel à l’action de tous les pays pour promouvoir la prospérité tout en protégeant l’environnement. Ils reconnaissent que pour éliminer la pauvreté, il faut aussi des stratégies qui contribuent à la croissance économique et qui répondent à divers besoins sociaux comme l’éducation, la santé, la protection sociale et les possibilités d’emplois tout en s’attaquant aux changements climatiques et à la protection de l’environnement. (Nations Unies, 2015).

i Rasia Patel, Minister says COVID-19 is empowering domestic violence abusers as rates rise in parts of Canada, CBC News, 27 avril 2020, https://www.cbc.ca/news/politics/domestic-violence-rates-rising-due-to-covid19-1.5545851.

ii Megan Evans et al., « A Pandemic within a Pandemic - Intimate Partner Violence during Covid-19 », New England Journal of Medicine, 2021, https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp2024046 

iii Megan Evans et al., « A Pandemic within a Pandemic - Intimate Partner Violence during Covid-19 », New England Journal of Medicine, 2021, https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp2024046 

iv Megan Evans et al., « A Pandemic within a Pandemic - Intimate Partner Violence during Covid-19 », New England Journal of Medicine, 2021, https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp2024046 

v Bradley et al., Health care practitioners’ responsibility to address intimate partner violence related to the COVID-19 pandemic, 1er mai 2020, https://www.cmaj.ca/content/cmaj/early/2020/05/01/cmaj.200634.full.pdf

vi Rasia Patel, Minister says COVID-19 is empowering domestic violence abusers as rates rise in parts of Canada, CBC News, 27 avril 2020, https://www.cbc.ca/news/politics/domestic-violence-rates-rising-due-to-covid19-1.5545851.

vii Morgan Sharp, « A spike in domestic violence happening in Toronto due to COVID-19 experts say », Canada’s National Observer, 28 avril 2020, https://www.nationalobserver.com/2020/04/28/news/spike-domestic-violence-happening-toronto-due-covid-19-experts-say.

viii Organisation mondiale de la santé, COVID-19 et violence à l’égard des femmes, 7 avril 2020,consulté à l’adresse https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/331699/WHO-SRH-20.04-eng.pdf

ix Mary Allen and Brianna Jaffray, « La pandémie de COVID-19 et ses répercussions sur les services aux victimes au Canada », Statistique Canada, 30 juillet 2020, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/45-28-0001/2020001/article/00065-eng.htm

x Dakshana Bascaramurty, « New data show that immigrants and low-income earners are more susceptible to COVID-19 », The Globe and Mail, 23 mai 2021, https://www.theglobeandmail.com/canada/article-how-covid-19-is-exposing-canadas-socioeconomic-inequalities/

xi Prévention du crime Ottawa, Évaluation des besoins des adolescents et jeunes adultes 2SLGBTQ+ d’Ottawa en matière de prévention des violences, non daté, consulté à l’adresse https://www.crimepreventionottawa.ca/wp-content/uploads/2021/03/Needs-Assessment-Of-Ottawas-2SLGBTQ-Youth-And-Young-Adults-With-Regard-To-Violence-Prevention-Resume-FR.pdf

xii Todd Minerson, H. Carolo, T. Dinner, et C. Jones, « Dossier d’information : Mobiliser les hommes et les garçons pour réduire et prévenir la violence sexiste », Condition féminine Canada, 2011.

xiii Marina Sistovaris et al., Protection de l’enfance et pandémies : analyse de la littérature (Toronto : Comité des politiques, Fraser Mustard Institute of Human Development, University of Toronto, 2020), https://cwrp.ca/sites/default/files/publications/Protection%20de%20l%27enfance%20et%20pand%C3%A9mies_Analyse%20de%20la%20litt%C3%A9rature_2020%20Francais.pdf.

xiv Zarse, E.M., Neff, M.R., Yoder, R., Hulvershorn, L., Chambers, J.E., & Chambers, R.A. (2019). « The adverse childhood experiences questionnaire: Two decades of research on childhood trauma as a primary cause of adylt mental illness, addiction, and medical diseases », Cogent Medicine, vol. 6, p. 1-24.

xv Jillian Boyce, « La victimisation chez les Autochtones au Canada, 2014 », Statistique Canada, 2014, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2016001/article/14631-fra.htm.

xvi « Réclamer notre pouvoir et notre place : le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées », National Inquiry into MMIWG, https://www.mmiwg-ffada.ca/fr/final-report/.

xvii Jillian Boyce, « La victimisation chez les Autochtones au Canada, 2014 », Statistique Canada, 2014, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2016001/article/14631-fra.htm.

xviii Teresa Wright, « Violence against Indigenous women during COVID-19 sparks calls for MMIWG plan », CBC, 10 mai 2020, https://www.cbc.ca/news/canada/manitoba/violence-against-indigenous-women-action-plan-covid-19-mmiwg-1.5563528.

xix Dakshana Bascaramurty, « New data show that immigrants and low-income earners are more susceptible to COVID-19 », The Globe and Mail, 23 mai 2021,  https://www.theglobeandmail.com/canada/article-how-covid-19-is-exposing-canadas-socioeconomic-inequalities/

xx Dakshana Bascaramurty, « New data show that immigrants and low-income earners are more susceptible to COVID-19 », The Globe and Mail, 23 mai 2021,  https://www.theglobeandmail.com/canada/article-how-covid-19-is-exposing-canadas-socioeconomic-inequalities/

xxi Emily Chung, « Black Canadians get sick more from COVID-19. Scientists aim to find out why”  », CBC News, 25 septembre 2020, https://www.cbc.ca/news/health/black-covid-antibody-study-1.5737452

xxii   Kate Allen, « Police violence and COVID-19 fuel a push to declare anti-Black racism a public health crisis », Toronto Star, 7 juin 2020, https://www.thestar.com/news/canada/2020/06/07/covid-19-and-police-violence-fuel-a-push-to-declare-anti-black-racism-a-public-health-crisis.html

xxiii Gouvernement du Canada, « Soutenir les Canadiens et lutter contre la COVID-19 : énoncé économique de l’automne de 2020 », Ministère des Finances, 2020, https://www.budget.gc.ca/fes-eea/2020/report-rapport/FES-EEA-fra.pdf

xxiv Human Rights Watch « Le Covid-19 attise le racisme anti-asiatique et la xénophobie dans le monde entier », 12 mai 2020, https://www.hrw.org/fr/news/2020/05/12/le-covid-19-attise-le-racisme-anti-asiatique-et-la-xenophobie-dans-le-monde-entier

xv The Canadian Press, « Chinese-Canadians worry about racism, job losses one year into pandemic », CBC News, 8 février 2021, https://www.cbc.ca/news/canada/chinese-canadians-concerns-racism-job-losses-pandemic-1.5905974

xvi Gérard Lévesque, « La justice doit être rendue, même en temps de crise », l’express.ca, 13 mai 2020, https://l-express.ca/la-justice-doit-etre-rendue-meme-en-temps-de-crise/.

xvii Jonny Wakefield, « COVID-19’s toll on Alberta’s fraught family court system », Edmonton Journal, 17 mai 2020, https://edmontonjournal.com/news/local-news/covid-19s-toll-on-albertas-fraught-family-court-system/.

xxviii Olivia Stefanovich, We’re in trouble’: Advocates urge Ottawa to help close the access-to-justice gap, 18 avril 2021, https://www.cbc.ca/news/politics/access-to-justice-federal-budget-2021-requests-1.5989872

xxix Les droits des victimes à l’aide médicale, psychologique, juridique et sociale sont traités dans les articles 14 à 17 de l’Organisation des Nations Unies Déclaration universelle des droits de l’homme.

xxx Gouvernement du Canada, Le premier ministre annonce du soutien pour les Canadiens vulnérables qui sont touchés par la COVID19, 29 mars 2020, https://pm.gc.ca/fr/nouvelles/communiques/2020/03/29/premier-ministre-annonce-du-soutien-les-canadiens-vulnerables-qui sont touchés par la COVID-19

xxxi Megan Evans et al., « A Pandemic within a Pandemic - Intimate Partner Violence during Covid-19 », New England Journal of Medicine, 2021, https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp2024046 

xxxii Human Rights Watch, Le Covid-19 attise le racisme anti-asiatique et la xénophobie dans le monde entier, 12 mai 2020, https://www.hrw.org/fr/news/2020/05/12/le-covid-19-attise-le-racisme-anti-asiatique-et-la-xenophobie-dans-le-monde-entier