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Allocution prononcée au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles 

Projet de loi C-32, Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes et modifiant certaines lois

Sue O'Sullivan
ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels
Le 26 mars 2015

Introduction

  • Bonjour Monsieur le président et chers membres du Comité.
  • Je vous remercie de m’avoir invitée ici aujourd’hui à venir vous parler du projet de loi C-32, la Charte canadienne des droits des victimes.

Mandat

  • Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels vient en aide aux victimes de façon individuelle et collective.
  • De façon individuelle, car on leur parle tous les jours, on répond à leurs questions et on traite leurs plaintes.
  • Et de façon collective, en étudiant des questions importantes et en présentant au gouvernement du Canada des recommandations sur la façon d'améliorer ses lois, ses politiques et ses programmes, de façon à mieux soutenir les victimes d'actes criminels.
  • J’ai fourni au Comité des copies de mon allocution ainsi que de la documentation qui présente mes recommandations relativement à la Charte des droits des victimes. Comme je suis limitée dans le temps, je n’aborderai pas chacune de mes recommandations, mais je vais attirer votre attention sur quelques modifications qui sont nécessaires selon moi pour renforcer le projet de loi.
  • La Charte des droits des victimes

    Ce projet de loi reconnaît le travail et les efforts acharnés des victimes et des défenseurs des droits des victimes qui se sont battus pendant de nombreuses années afin que des changements soient apportés au Canada.

    Je remercie le gouvernement du Canada d’avoir inclus les victimes dans l’élaboration de ce projet de loi, et j’espère qu’une telle approche sera utilisée dans l’avenir pour apporter d’autres changements importants aux politiques et aux lois touchant les victimes d’actes criminels.

    Ce projet de loi marque une grande réalisation; mais il doit être renforcé pour répondre plus efficacement à toute l’étendue des droits et des préoccupations des victimes.

    Pour donner plus de force au projet de loi, les droits des victimes doivent être accrus à toutes les étapes du processus de justice pénale, de la perpétration de l’acte criminel aux procédures judiciaires, de même qu’après la déclaration de culpabilité du délinquant et à sa mise en liberté sous condition.

    Mes recommandations visent à améliorer davantage le traitement des victimes du point de vue de leur droit d’être informées, d’être considérées, d’être protégées et d’être appuyées.

    Informer les victimes

    Un des droits les plus fondamentaux auquel une victime devrait s’attendre est celui d’être informée.

    Le projet de loi prévoit le droit des victimes de recevoir des renseignements au sujet du système de justice, le rôle qu'elles y jouent et les services et programmes qui leur sont offerts. Cela comprend le droit d’obtenir des renseignements concernant l’enquête et les procédures et certaines informations concernant le délinquant ou l’accusé.

    Bien que le projet de loi offre des droits accrus en matière d’information, il ne précise pas qui est responsable de fournir cette information aux différentes étapes du système.

    Je recommande que les victimes obtiennent automatiquement, au moment du crime, des renseignements clairs au sujet de leurs droits en vertu de la Charte, qu'elles sachent quels renseignements elles ont le droit de recevoir, et qui est chargé de leur fournir ces renseignements et à quel moment. Par ailleurs, les victimes devraient pouvoir obtenir ces renseignements dans le support de leur choix.

    Les victimes veulent également obtenir de l’information sur l’endroit où les délinquants purgent leur peine.

    La Charte des droits des victimes garantit le droit des victimes de recevoir de l’information concernant le délinquant, mais avec de simples modifications, elle répondrait davantage aux droits et aux préoccupations des victimes.

    Par exemple, le projet de loi prévoit un accès automatique à une photographie du délinquant avant sa libération conditionnelle ou sa mise en liberté sous condition. Je recommande que ce principe soit également appliqué lorsque le délinquant est en sortie temporaire sous escorte.

    Choix et options

    Le projet de loi ne prévoit pas suffisamment de mesures pour reconnaître et gérer l’importance d’offrir des choix et des options aux victimes.

    Par exemple, il n’y a pas de disposition proposant aux victimes des options quant à la façon d’assister à une audience de libération conditionnelle, que ce soit pour des raisons personnelles qui font qu’il est difficile pour elles de se déplacer, ou parce qu’elles sont trop anxieuses ou effrayées pour y assister en personne.

    Je recommande que le projet de loi soit modifié afin d’octroyer aux victimes le droit de choisir de quelle façon elles assisteront à une audience de libération conditionnelle ou elles présenteront leur déclaration, c’est-à-dire en personne, par vidéoconférence ou téléconférence, au moyen de la télévision en circuit fermé ou au moyen de toute autre technologie sécurisée, raisonnable et disponible.

    Par ailleurs, aux termes du projet de loi, les victimes peuvent avoir accès à l’enregistrement audio de l’audience de libération conditionnelle lorsqu’elles ne sont pas en mesure d’y assister.

    Je recommande que l’on offre aux victimes l’option d’obtenir l’enregistrement audio de l’audience, qu’elles y aient assisté ou non. Cette disposition est inutilement restrictive. Il y a eu bon nombre de situations où les victimes ont assisté à l’audience de libération conditionnelle en personne, mais ont été incapables d’en retenir les détails parce que l’expérience avait été trop éprouvante. Ces victimes devraient elles aussi avoir accès aux enregistrements audio.

    Considérer et protéger les vicitmes

    Pendant les procédures judiciaires et les audiences de libération conditionnelle, les victimes veulent avoir l’occasion de dire et de faire valoir leur opinion, surtout en ce qui a trait à leur santé et à leur sécurité. Cela fait partie des droits des victimes en matière de participation.

    La Charte des droits des victimes confère à chaque victime le droit de faire valoir son point de vue au sujet des décisions devant être rendues par les autorités compétentes au sein du système de justice pénale qui touchent les droits de la victime et le droit à ce que ce point de vue soit pris en compte.

    La Charte des droits des victimes confère aux victimes le droit de faire entendre leurs préoccupations quant à leur sécurité aux audiences sur le cautionnement. Les victimes bénéficient ainsi de droits de participation accrus, mais le projet de loi ne prévoit pas de mécanisme pour recueillir leurs points de vue et les faire valoir au tribunal.

    La Charte des droits des victimes prévoit également des mesures pour aider à assurer que les victimes soient informées d’une négociation de plaidoyer dans les cas d’infractions ayant causé des lésions corporelles graves ou de meurtre.

    Il est utile à certains égards d’informer les victimes d’une négociation de plaidoyer, mais les victimes ont clairement fait savoir qu’elles veulent que leur point de vue soit pris en considération avant que la cour décide d’accepter un plaidoyer.

    On ne propose pas ici de donner aux victimes un droit de veto sur les négociations de plaidoyer, mais on s’assure que les victimes puissent exercer leur droit de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision soit rendue par les autorités compétences du système de justice pénale.

    La Charte des droits des victimes prévoit des mesures pour accroître la sécurité des victimes lors des procès, notamment en protégeant les renseignements relatifs à la victime et son identité lors du procès et lors de son témoignage; en autorisant des aides au témoignage, par exemple la présence d’une personne de soutien; et en permettant à la victime de lire une déclaration à l'extérieur de la salle d'audience.

    Des considérations similaires devraient s’appliquer pour assurer la sécurité de la victime lors des audiences de libération conditionnelle. Actuellement, on ne garantit pas aux victimes l’accès à une aire distincte et protégée pour éviter tout contact avec le délinquant à l’audience de libération conditionnelle.

    Je recommande que des mesures appropriées soient établies pour protéger le sentiment de sécurité de la victime lorsqu'elle assiste à une audience de la Commission des libérations conditionnelles, comme des aires d'attentes sécurisées et séparées.

    Soutenir les victimes

    En ce qui concerne le soutien aux victimes, la Charte des droits des victimes obligerait le juge à envisager la possibilité de rendre une ordonnance de dédommagement dans tous les cas.

    Lorsque la victime ne reçoit pas la totalité du dédommagement, elle doit entamer des procédures au civil pour que les sommes impayées lui soient versées.

    Le dédommagement fait partie intégrante de la peine du délinquant. Ce n’est pas la victime qui devrait être responsable de prendre des mesures pour récupérer l’argent qui lui est dû.

    Je recommande qu’un mécanisme de collecte soit mis en place pour que la victime n’ait pas à prendre elle-même des mesures pour avoir l’argent qui lui est dû.

    Exercice des droits des victimes

    En ce qui a trait à l’exercice des droits, la Charte des droits des victimes exige que chaque ministère ou organisme fédéral ait une procédure de traitement des plaintes relatives à l’atteinte aux droits des victimes.

    Lorsque les victimes ne sont pas satisfaites du résultat de la procédure, elles peuvent déposer leur plainte auprès d’une autre autorité compétente pour qu’elle revoie les plaintes soumises au ministère ou à l’organisme en question.

    Nos recommandations pour renforcer la Charte des droits des victimes reposent sur deux approches liées à l’exercice des droits des victimes en ce qui a trait à leur participation et en matière de services. Ces deux approches seront différentes selon la nature du droit et l’étape du processus à laquelle elles s’appliquent : au moment du crime, pendant le procès, pendant la période de détention, à la mise en liberté sous condition ou à la libération conditionnelle.

    Dans le contexte des droits en matière de services, ou des droits en matière d’information, le recours aux mécanismes internes de plainte pourrait protéger adéquatement les droits des victimes, dans la mesure où ces mécanismes sont soumis à une surveillance appropriée.

    Je recommande que toute autorité fédérale ayant compétence pour examiner des plaintes soit dotée des pouvoirs d’enquêtes nécessaires pour contraindre les ministères et organismes fédéraux à produire l’information et les documents en lien avec une plainte, et pour formuler des recommandations sur les recours dans le contexte de plaintes en particulier ou en lien avec des questions systémiques.

    Je recommande aussi que les victimes aient accès aux services d’un avocat lorsqu’elles s'adressent aux tribunaux afin d'exercer ou de faire valoir leurs droits de participation en vertu de la Charte des droits des victimes.

    La représentation juridique des victimes est déjà permise dans le contexte de la détermination de l’accès aux dossiers personnels des victimes dans les affaires d’agression sexuelle. Cela ne signifie pas que les victimes ont le statut de « partie », mais plutôt qu’elles auraient la possibilité de s’adresser au tribunal seulement dans les affaires liées directement aux droits conférés dans le projet de loi.

    Certains pourraient faire valoir que cela retarderait les procédures et minerait le principe d’un procès juste et équitable, mais je n’ai relevé aucune preuve en ce sens dans les autres administrations dans lesquelles les victimes peuvent être représentées lorsqu’elles s’adressent aux tribunaux, comme c’est le cas dans plusieurs États américains.

    Offrir aux victimes un mécanisme pour s’adresser aux tribunaux contribuerait à assurer que le processus tient compte de manière équitable des intérêts de chacun et qu’il les protège. Le traitement équitable et l’assurance d’une participation significative des victimes sont essentiels pour accroître la confiance du public dans le système de justice pénale et pour accroître l’efficacité globale du système.

    Mise en oeuvre et évaluation

    Les forces de ce projet de loi se mesureront véritablement par la mesure dans laquelle il répond aux besoins des victimes.

    Le projet de loi a été amendé pour inclure un examen parlementaire du projet de loi cinq ans après son entrée en vigueur. Cet examen ne devrait pas se limiter à évaluer la façon dont le gouvernement respecte le projet de loi, mais également la différence qui en résulte pour les victimes.

    Pour y arriver, le Parlement doit maintenant déterminer quelles mesures de rendement doivent être mises en place pour évaluer les avantages du projet de loi pour les victimes. À quels résultats devrait donner lieu ce projet de loi et comment peut-on les mesurer?

    Le fait d’intégrer dans le projet de loi des mesures d’évaluation fournira aux parlementaires les renseignements dont ils auront besoin pour déterminer si le projet de loi atteint les objectifs visés.

    Je recommande que le Comité envisage de préciser les rôles et responsabilités relativement aux rapports sur la conformité et à l’évaluation de la conformité. Cela permettrait ainsi aux parlementaires de mieux évaluer la portée et l’incidence de la Charte des droits ainsi que de déterminer de quelle façon il pourrait être renforcé pour mieux répondre aux besoins des victimes d’actes criminels.

    Conclusion

    En conclusion, je suis d’avis que le projet de loi C-32 est un pas dans la bonne direction pour les victimes d’actes criminels au Canada.

    Le projet de loi contient de nombreuses mesures qui contribueront à améliorer le système pour les victimes d’actes criminels et à assurer qu’elles sont informées, considérées, protégées et appuyées.

    Mais en même temps, bon nombre des mesures qu’il contient pourraient être renforcées pour assurer que les victimes sont traitées de façon équitable à toutes les étapes du processus de justice pénale.

    Je vous remercie de votre attention. Je serais heureuse de répondre à vos questions.




    1. Alexander, Ellen K., et Harris Lord, Janice, « Impact Statements: A Victim's Right to Speak, A Nation's responsibility to listen », 1994. Consulté à l'adresse https://www.ncjrs.gov/ovc_archives/reports/impact/welcome.html.  (retour à la note de bas de page 1)