Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels
Téléchargez la version imprimable (pdf)
Au sujet du format PDF
Dans le cadre de l’Enquête sociale générale (ESG) sur la victimisation, on demande aux Canadiens de 15 ans et plus d’autodéclarer toute victimisation. En 2014, bien qu’elle ait été l’infraction recensée la plus grave1 ,l’agression sexuelle était l’infraction la moins susceptible d’être signalée à la police, seulement une agression sur vingt étant signalée. Selon les recherches disponibles, il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les victimes ne signalent pas les agressions sexuelles, comme la honte ou un sentiment de culpabilité, l’impression qu’il n’y aurait pas suffisamment d’éléments de preuve, la peur que les autres découvrent la victimisation, la peur de représailles de la part de l’auteur de l’agression, et le fait de ne pas vouloir porter atteinte à l’honneur de la famille. Parmi les raisons qui ressortent de façon constante, mentionnons également un manque de confiance envers le système de justice pénale et une peur du système de justice pénale2 : les victimes ne sentent pas que le système va les traiter de façon équitable et avec dignité et respect.
Nous, les Canadiens, avons vu les manchettes et entendu des histoires – des victimes interrogées au sujet de leur passé, leur moralité et leur comportement étant mis en doute ou, pire encore, questionnées quant à savoir pourquoi elles n’en avaient pas fait plus pour mettre fin à l’agression. Souvent, les victimes évoquent une impression d’être blâmées ou jugées, de subir un interrogatoire ou d’être rejetées. Bien que ces cas ne représentent pas forcément la norme, ce sont ceux dont les gens se souviennent, et ceux qui peuvent venir en tête des personnes qui sont placées dans la malheureuse position de devoir décider si elles parlent ou non.
Souvent, des victimes nous disent que leur parcours dans le système de justice pénale leur a causé encore plus de douleurs et de souffrances. Bien que des progrès aient été réalisés, il est juste d’affirmer que pour certaines victimes, le système de justice pénale peut sembler intimidant et hostile.
1 L’ESG sur la victimisation recense huit types d’infractions : voies de fait, agression sexuelle, vol qualifié, vol de biens personnels, introduction par effraction, vol d’un véhicule à moteur, vol de biens ménagers et vandalisme.
2 Voir, par exemple : Lindsay, M. 2014. Enquête menée auprès de survivantes de violence sexuelle dans trois villes canadiennes. Ottawa : Division de la recherche et de la statistique, Ministère de la Justice du Canada. http://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr13_19/rr13_19.pdf. L’étude, dans le cadre de laquelle 114 entrevues ont été menées auprès de survivantes de violence sexuelle dans trois provinces canadiennes, dont 86 ont été victimes d’agression sexuelle à l’âge adulte, a révélé que le manque de confiance dans le système de justice pénale était l’une des raisons les plus fréquentes (34 pour cent) pour lesquelles une agression sexuelle n’est pas signalée.
On ne peut que constater les bienfaits de s’assurer que les juges sont bien renseignés non seulement au sujet du droit applicable aux agressions sexuelles, mais également au sujet des répercussions sur les victimes et de la façon dont ces répercussions influent sur la prise de décisions, le comportement, la capacité de se rappeler des détails et plus encore.
Pour cette raison, j’appuie l’objectif du projet de loi C-337. Je me réjouis de voir l’appui à ce projet de loi, et la reconnaissance du fait que, du point de vue des victimes, le système doit être corrigé de toute urgence.
Bien que j’appuie le projet de loi, je crois qu’il serait aussi possible de le renforcer de façon à mieux refléter les réalités complexes propres à la question des agressions sexuelles et à le rendre plus efficace dans l’ensemble pour les victimes et les survivantes. Voici mes recommandations de modification du projet de loi que je soumets à l’examen du Comité. Elles se divisent en deux catégories principales :
Élaboration de la formation
L’élaboration de la formation est essentielle à son succès global. La formation doit être élaborée avec des experts et des intervenants clés pour s’assurer qu’elle tient compte des traumatismes et qu’elle est pertinente. Je recommande par conséquent qu’il soit mentionné dans la loi que la formation doit respecter les exigences suivantes :
Les traumatismes sont complexes et la formation devrait être élaborée par des personnes qui ont une expertise dans le domaine. De plus, les juges doivent comprendre le point de vue des victimes et les répercussions du système de justice pénale sur les survivantes d’agressions sexuelles. Les défendeurs des droits des victimes devraient être consultés au cours de l’élaboration de la formation de façon à assurer une perspective juste. Le fait de consulter des avocats et des agents chargés de l’application de la loi constituerait également une valeur ajoutée et aiderait à déterminer les lacunes et les obstacles liés aux connaissances.
Pour être efficace, la formation devrait favoriser une sensibilisation aux besoins uniques des populations vulnérables et marginalisées. On trouve chez certains groupes des taux anormalement élevés de violence sexuelle ou des obstacles particuliers lorsque ses membres cherchent à obtenir l’aide des organismes d’application de la loi et du système de justice, par exemple les membres de collectivités du Nord, rurales ou éloignées, les femmes et les filles victimes de la traite de personnes, les personnes LGBTQ2, les femmes autochtones, les immigrantes et les réfugiées et les femmes handicapées.
Contenu de la formation
Dans l’ensemble, la formation devrait favoriser une meilleure acceptation et une meilleure compréhension des complexités des traumatismes associés aux agressions sexuelles, et informer les membres de la magistrature quant à la façon de mieux aider les victimes. Dans ce cadre, je recommande qu’il soit précisé dans le projet de loi que la formation doit reconnaître et inclure les éléments suivants:
Bon nombre de victimes d’agressions sexuelles subissent les agressions dans un contexte de violence familiale. Le fait de s’assurer que les membres de la magistrature ont reçu une formation sur les liens entre ces problèmes les aidera à mieux comprendre le contexte de l’infraction et ses répercussions.
Comme il est signalé dans l’étude du Comité sur la violence contre les jeunes femmes et les filles, les membres de la magistrature devraient recevoir une formation sur la violence fondée sur le sexe qui tient compte des traumatismes. Les traumatismes sont complexes et pour qu’un juge puisse analyser de façon raisonnable le comportement d’une victime dans le contexte d’une affaire, il doit bien comprendre les répercussions des agressions sexuelles.
Alors que nous sommes toujours aux prises avec des mythes et des stéréotypes de base, le monde évolue rapidement autour de nous. La cyberviolence sexuelle est un nouveau problème qui doit être examiné et pris en compte quand il est question de victimisation3 . Le fait de ne pas examiner et inclure cette question peut nuire à l’objectif du projet de loi en compromettant son efficacité dans le monde numérique d’aujourd’hui.
3 Rapport d’étude du Comité permanent de la condition féminine (CPCF) sur la violence contre les jeunes femmes et les filles : les témoins ont suggéré que les agents chargés de l’application de la loi et les membres de la magistrature reçoivent une formation sur les connaissances numériques, afin de comprendre les complexités de ce type de crime.
En plus des recommandations précédentes, j’aimerais également soumettre les points suivants à l’examen du Comité :
D’autres administrations, comme le Massachusetts4 aux États-Unis de même que l’Angleterre et le pays de Galles5 , ont déjà mis en œuvre de la formation sur les agressions sexuelles pour les membres de leur magistrature (de même que pour d’autres membres du système de justice pénale) et des efforts sont déployés dans d’autres administrations pour réfléchir à la meilleure approche en ce qui concerne la formation. En me fondant sur les discussions informelles que j’ai eues avec des experts de ces administrations, j’estime qu’il existe de premières leçons apprises dont pourrait bénéficier le Canada.
Les survivantes d’agressions sexuelles ont des besoins particuliers, cependant, beaucoup victimes témoignent de façon générale au bureau qu’elles ressentent un manque de respect de la part du système de justice pénale. Un module de formation à grande portée sur les besoins des victimes pour obtenir information, considération, participation et soutien devrait faire partie de la formation des juges et s’étendre à tous ceux et celles qui travaillent au sein du système.
En outre, compte tenu de la présentation de la toute première loi autonome visant les victimes, une formation sur la Déclaration canadienne des droits de la personne (DCDP) devrait être prévue, afin de s’assurer que les juges respectent et protègent les droits des victimes dans le cadre du processus judiciaire.
De toute évidence, il est important de s’assurer que la nouvelle loi n’entraîne pas de retards supplémentaires dans le système de justice pénale – un élément qui devrait être pris en considération en ce qui a trait à l’exigence d’une décision écrite. En supposant que l’exigence n’entraîne pas de retards supplémentaires, il y a des avantages évidents à exiger que les victimes d’actes criminels obtiennent des décisions écrites. Les victimes veulent être au fait et informées, et le fait d’obtenir une décision écrite relativement à leur affaire peut les aider à cet égard. Même lorsque les victimes sont présentes pour entendre les motifs et les décisions, elles peuvent être bouleversées ou provoquées par l’accusé et peuvent ne pas être en mesure de se souvenir des motifs de manière efficace. Ces renseignements devraient donc être fournis sans frais aux victimes. De plus, la transparence à l’égard de ce type de renseignement pourrait aider les organisations qui cherchent à améliorer le système de justice pénale pour les victimes en les aidant à analyser les modèles, les lacunes ou les obstacles que comporte le système. Cette transparence devrait également permettre d’améliorer la reddition de comptes et de réduire les erreurs.
Tous les participants au système de justice pénale contribuent à l’expérience générale de la victime, et à l’issue d’une affaire donnée. Par exemple, un problème constant se rapporte aux cas où des avocats produisent des éléments de preuve qui devraient être exclus en vertu des lois sur la protection des victimes de viol ou proposent des questions qui perpétuent les mythes sur le viol dans la salle d’audience. Afin que les victimes aient confiance dans le système de justice pénale, nous devons veiller finalement à ce que les survivantes soient traitées avec dignité et respect par tous les participants au système de justice pénale.
4 Les General Laws of Massachusetts exigent que de la formation sur la question de la violence conjugale et de la violence sexuelle soit offerte à l’ensemble des membres appropriés du personnel judiciaire dans tout le Commonwealth, y compris, mais sans s’y limiter, les juges, les greffiers et d’autres membres du personnel.
5 En Angleterre et au pays de Galles, un système de suivi a été mis en place, lequel fait en sorte que les juges de la Crown court doivent réussir un cours de formation spécialisée avant de pouvoir entendre des affaires de violence sexuelle.
Le projet de loi C-337 porte sur une question importante qui touche les victimes d’actes criminels et vise à sensibiliser les juges en matière d’agressions sexuelles. J’appuie cette initiative, et le projet de loi dans l’ensemble. Cependant, j’encouragerais le comité à examiner mes recommandations, selon lesquelles le projet de loi devrait préciser les aspects liés à l’élaboration de la formation et à son contenu. Un tel travail peut se faire au moyen d’inclusions pratiques, comme le fait exiger que la formation traite de l’interrelation entre les agressions sexuelles et les questions telles que la violence conjugale, ainsi qu’au moyen d’inclusion de questions émergentes comme la cyberviolence qui, si elle est exclue du contenu de la formation, pourrait causer une lacune importante ultérieurement.
Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels aide les victimes en répondant à leurs besoins, en faisant la promotion de leurs intérêts et en formulant des recommandations à l’intention du gouvernement fédéral au sujet des questions qui ont une incidence négative sur les victimes. Pour en savoir plus consulter l’adresse suivante : www.victimesdabord.gc.ca