Annexe A
EXPOSÉ DE POSITION
Recommandations visant à améliorer l’accès aux services de santé mentale pour les victimes et les survivants d’actes criminels
Question
Selon les données disponibles, la santé mentale est une préoccupation croissante au Canada. Les effets nuisibles des problèmes de santé mentale sur la société et les coûts connexes pour le système de justice pénale donnent à penser qu’il est temps d’adopter une nouvelle approche à l’égard de la santé mentale et d’élever au rang de priorité l’accès universel aux soins de santé mentale.
Faits saillants
- Un Canadien sur trois sera atteint d’une maladie mentale ou d’un trouble lié à la toxicomanie au cours de sa vie1
- La victimisation criminelle peut avoir des répercussions mentales et émotionnelles à long terme, y compris le trouble de stress post-traumatique.2
- Les conséquences pour la société comportent les coûts économiques liés aux soins de santé, aux services sociaux, au chômage et à la baisse de productivité, qui sont estimés à plus de 90 milliards de dollars chaque année.3
Santé mentale et justice
« Les répercussions traumatisantes de la violence ont des effets à long terme sur les victimes, que la violence soit d’actualité ou qu’elle appartienne au passé4.» Les victimes ont besoin de soutien et de soins afin de se rétablir complètement.
À l’heure actuelle, certains Canadiens sont couverts par une assurance privée pour les services de santé mentale. Malheureusement, la plupart des victimes d’actes criminels ne font pas partie de cette catégorie. Nombre de victimes sont défavorisées sur le plan économique et subissent souvent des pertes financières à cause de l’acte criminel commis contre elles. Par conséquent, il peut être encore plus difficile pour elles de trouver les ressources pour se payer des soins de santé mentale.
En 2017, le gouvernement fédéral a publié les détails des principes guidant la transformation du système de justice pénale. Ces principes comprennent ce qui suit :
- Élaborer un système axé sur la compassion et le respect, qui permet une participation étroite des victimes et répond à leurs besoins.
- Répondre aux besoins des populations vulnérables, y compris les Autochtones et les personnes souffrant de maladies mentales et de dépendances, et combler les lacunes des services offerts aux groupes vulnérables, tant pour les victimes que pour les délinquants.
- Adopter une approche qui intègre d’autres systèmes de soutien social et économique rattachés au système de justice pénale (par exemple, le logement, l’éducation et les soins de santé), et procéder à un examen plus global des problèmes humains.
Il ne fait aucun doute que les victimes d’actes criminels violents peuvent ressentir des effets à long terme sur leur santé mentale et physique, qui sont directement attribuables au crime commis contre elles. Même lorsqu’il y a un rétablissement physique, les répercussions mentales et émotionnelles durables peuvent continuer à avoir des effets sur la victime. Cela lui cause plus de tort, comme son incapacité à travailler, qui a des conséquences sur son bien-être social et économique.
Par ailleurs, nombre de délinquants souffrent de problèmes de santé mentale, ce qui entraîne souvent des démêlés avec la justice. L’accès précoce et régulier à des services de santé mentale pourrait fournir à d’éventuels délinquants les ressources et le soutien dont ils ont besoin pour maintenir un mode de vie sain et éviter de commettre des infractions.
Même si les ressources pour s’occuper des effets immédiats des traumatismes semblent adéquates (par exemple, les lignes d’aide pour victimes de viol et d’autres lignes d’aide et les salles d’urgence des hôpitaux), la plupart des victimes n’ont pas accès à des soins à long terme, en raison du manque de services offerts et de moyens financiers. Les organismes de services aux victimes dépendent souvent de sources de financement à court terme et non renouvelables, ce qui restreint les services offerts et occasionne de longues périodes d’attente. Cela signifie que ces organismes perdent un temps précieux à concurrencer pour des sources de financement de rechange. Sans une source de financement stable et à long terme, plusieurs programmes prennent fin, ce qui laisse les victimes en détresse.
Le manque de fournisseurs de soins de santé mentale bien formés restreint encore davantage l’accès à ce type de soins. Une approche en matière de soins de santé publics comporterait un éventail de fournisseurs de services, selon les besoins du patient. Des investissements relativement modestes dans la formation destinée aux fournisseurs de soins primaires pour diagnostiquer et traiter des troubles légers à modérés répondraient aux besoins d’une importante partie de la population.
Enfin, il est navrant de constater que jusqu’à 65 p. 100 des victimes d’actes criminels ne signalent pas le crime à la police. Ce pourcentage atteint 95 p. 100 pour les victimes d’agression sexuelle5. Ces dernières ne seront donc jamais admissibles aux services qui existent. L’accès aux soins de santé mentale pour ces victimes pourrait être encore plus important que pour celles qui ont signalé le crime à la police. L’accès universel aux soins de santé mentale pourrait permettre à toutes les victimes d’obtenir l’aide dont elles ont besoin.
Suicide
Les problèmes de santé mentale non traités ou traités de manière inadéquate peuvent mener au suicide. Neuvième cause de décès en importance au Canada, le suicide entraîne en moyenne 4 000 décès par année6. Chez les 15 à 24 ans, le suicide est la deuxième cause de décès en importance et fait de 400 à 500 victimes par année. Les Premières Nations, les Métis et les Inuits ont des taux de suicide plus élevés que la population non autochtone7. L’accès universel aux soins de santé mentale pourrait aider à sauver des vies.
Réponses
La Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) se penche sur l’état de la santé mentale au Canada depuis 2010, et elle a publié de nombreuses études à ce sujet. La CSMC demande une stratégie pancanadienne en matière de santé mentale, et elle a fourni un modèle pour sa mise en œuvre dans trois études approfondies : Changer les orientations, changer des vies : Stratégie en matière de santé mentale pour le Canada (2012), La nécessité d’investir dans la santé mentale au Canada (2016) et Faire valoir les arguments en faveur des investissements dans le système de santé mentale du Canada à l’aide de considérations économiques (2017).
Voici la conclusion de la CSMC : le fait d’investir en amont dans les soins de santé mentale (dépistage et soins précoces, prévention, services communautaires) réduirait considérablement les dépenses en aval (soins hospitaliers, démêlés avec le système de justice pénale, emprisonnement), ainsi que les coûts sociaux et économiques connexes, y compris la criminalité.
Dans leur déclaration conjointe sur l’accès aux soins de santé mentale de 2016, l’Association médicale canadienne (AMC) et l’Association des psychiatres du Canada (APC) ont formulé plusieurs recommandations sur la façon de répondre aux besoins des Canadiens en matière de soins de santé mentale. Elles ont notamment dit que les soins de santé mentale devraient constituer une priorité à tous les échelons du gouvernement et qu’un financement stable devrait être assuré pour fournir des services à tous les Canadiens. Elles ont également recommandé d’adopter une approche de santé publique qui englobe la promotion de la santé mentale ainsi que la sensibilisation et la prévention relatives aux problèmes de santé mentale, et qui fournit un éventail de traitements et de services fondés sur les besoins. Enfin, elles ont préconisé d’établir un programme d’assurance-médicaments complet afin que tous les Canadiens aient accès à des pharmacothérapies médicalement nécessaires.
En 2018, l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) a publié L’équité pour la santé mentale : mettre fin à la disparité en santé au Canada et a demandé au gouvernement du Canada de présenter un projet de loi en vue d’établir la parité en matière de financement entre les soins de santé physique et ceux de santé mentale. Actuellement, seulement 7,2 p. 100 des dépenses en santé sont consacrées aux soins de santé mentale au Canada en comparaison, par exemple, de celles de l’Angleterre qui sont de l’ordre de 13 p. 100.
Financement des soins de santé mentale universels
La justification de la participation du gouvernement fédéral est prévue par la Loi canadienne sur la santé (LCS), qui « établit les critères et les conditions auxquels doivent satisfaire les provinces et les territoires pour recevoir, dans le cadre des transferts fédéraux en santé, les contributions fédérales pour les services de santé assurés. La LCS présente explicitement la santé mentale comme une priorité, disposant que "la politique canadienne de la santé a pour premier objectif de protéger, de favoriser et d’améliorer le bien-être physique et mental des habitants du Canada." »8
L’argument le plus convaincant en faveur de la participation du gouvernement fédéral à l’élaboration d’un cadre national pour des soins de santé mentale universels à l’intention des Canadiens est que, si la mise en œuvre relève des provinces et des territoires, l’égalité d’accès pour tous les Canadiens ne sera pas garantie. Par exemple, le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels (BOFVAC) reçoit régulièrement des demandes de renseignements de la part de victimes d’actes criminels commis dans une administration autre que celle dans laquelle elles vivent. L’administration en question refuse habituellement de leur fournir des services parce qu’elles ne sont pas résidentes. Ensuite, lorsqu’elles retournent à la maison, leur administration de résidence refuse de leur fournir des services parce qu’elles ont été victimisées ailleurs.
Tout investissement dans les soins de santé mentale universels serait fait avec la conviction qu’il y aurait des gains financiers. En effet, il y aurait une réduction des dépenses pour les soins et les hospitalisations de longue durée en raison de maladies mentales ainsi que pour le système de justice pénale (particulièrement les prisons), et une augmentation de la productivité. Les gains non monétaires découlant de ces investissements seraient des retombées sociales qui profiteraient à l’ensemble du pays : les Canadiens seraient plus en sécurité, en meilleure santé et plus productifs.
Sources de financement possibles
Le BOFVAC a relevé trois sources de financement possibles :
- une des rares nouvelles sources de revenus est liée à la légalisation de la marijuana;
- les revenus liés aux produits de la criminalité;
- les revenus liés aux amendes imposées par les cours fédérales.
La partie provinciale et territoriale pourrait être financée au moyen des revenus provenant de la loterie ou du jeu.
Recommandations
Fournir aux provinces et aux territoires du financement stable et à long terme pour les soins de santé mentale universels.
Établir un cadre national qui :
- adopte une approche de santé publique pour les soins de santé mentale, laquelle est fondée sur la sensibilisation, la prévention et les soins;
- intègre les services afin que le niveau de soins approprié soit prescrit et accessible;
- se concentre sur la formation pour que les bonnes personnes se trouvent au bon endroit au bon moment. Dans l’avenir immédiat, le gouvernement fédéral devrait accorder la priorité à l’affectation de fonds aux provinces et aux territoires pour la formation des professionnels de la santé mentale.
Conclusion
Le manque d’accès aux soins de santé mentale nuit aux Canadiens. Accroître la sensibilisation, mettre fin à la stigmatisation et encourager les gens à prendre soin d’eux-mêmes sont tous des pas dans la bonne direction, mais ce n’est pas suffisant pour répondre au besoin existant en matière de services.
L’ACSM, l’AMC et l’APC conviennent toutes que la meilleure façon d’aider les Canadiens aux prises avec des problèmes de santé mentale est de fournir un accès universel aux services de santé mentale partout au Canada. La question n’est pas de savoir si nous avons les moyens de le faire; elle est plutôt de savoir si nous avons les moyens de ne pas le faire.